CHEVALERIE
Dans la société médiévale
Hors de France, les chevaliers demeurèrent longtemps en position subordonnée à l'égard des couches supérieures de l'aristocratie. Ainsi, dans les territoires soumis au roi de Germanie, la chevalerie formait, encore au début du xiiie siècle, un « état » nettement distinct de la noblesse. Le souverain et les princes recrutaient volontiers leurs auxiliaires militaires parmi leurs dépendants les plus soumis, ceux que leur attachaient les liens de la servitude : les pays germaniques connurent donc une catégorie sociale particulière, celle des chevaliers-serfs. Il n'en fut pas de même dans le royaume de France, où la liberté personnelle fut toujours l'un des traits essentiels du statut chevaleresque et où une tendance très puissante rapprocha rapidement les deux notions, nettement distinctes à l'origine, de noblesse et de chevalerie. Plusieurs courants poussaient, dès le xie siècle, à une telle confusion.
Il existait en France, dans la demeure des grands, beaucoup de chevaliers sans terre et qui vivaient en condition domestique, entretenus par leur maître. Mais beaucoup d'autres possédaient un domaine familial, dont ils tiraient leur aisance et le moyen de se vouer entièrement aux armes. Tous les guerriers domestiques revendiquèrent une telle autonomie économique ; beaucoup obtinrent peu à peu la concession d'un bien foncier, où ils s'établirent et qu'ils léguèrent à leurs fils. Sur ces patrimoines s'enracinèrent des lignages ; la condition chevaleresque cessa d'y être tenue pour individuelle ; elle parut une aptitude héréditaire, transmise de génération en génération aux descendants mâles. Tous les fils de chevaliers qui n'entraient pas dans l'Église s'introduisirent à la fin de leur adolescence dans la chevalerie et en refusèrent l'accès à ceux qui n'étaient pas de « bonne race ». La chevalerie se mua de la sorte en caste.
Au début du xie siècle, s'imposa, entre autres, due à la réflexion ecclésiastique, une image de la société où les hommes se répartissaient, selon le plan divin, en trois « ordres », celui des travailleurs, celui des hommes de prière, celui, enfin, des guerriers. À ceux-ci incombait une mission spécifique : hâter, par la force de leurs armes, la réalisation du royaume de Dieu. Ainsi se forma l'idéal du chevalier du Christ, au service, non plus d'un patron, mais du Seigneur. Cette conception se reliait étroitement à l'idée de guerre sainte, donc à la croisade ; elle aboutit à la création des ordres religieux militaires, la nova militia qu'exalta saint Bernard ; les chevaliers du Temple ou de l'Hôpital, ceux de Santiago, les chevaliers Porte-Glaive ou Teutoniques, qui maniaient l'épée tout en s'imposant les renoncements monastiques, offrirent un modèle de perfection virile que l'aristocratie tout entière s'efforça d'imiter. Dans la chevalerie, désormais chargée de valeurs spirituelles, les princes et les rois eux-mêmes mirent aussi leur honneur à pénétrer. L' adoubement, la remise des armes, cérémonie d'initiation à l'origine toute profane, rite de passage de l'adolescence à l'âge adulte, prit peu à peu l'allure d'un sacrement, sanctifié par l'intervention du clergé et par une formation morale préliminaire. À la fin du xiie siècle, cette fête solennelle était considérée par les hommes de la plus haute naissance et par les fils des souverains comme une étape majeure de leur existence.
Enfin, après l'adoubement et avant qu'ils n'aient succédé à leur père dans la direction de la seigneurie familiale, les jeunes chevaliers, venus de tous les niveaux de l'aristocratie, se mêlaient, au xiie siècle, dans des bandes que les fils des princes conduisaient à l'aventure, à la poursuite[...]
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