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CHIISME ou SHĪ‘ISME

Le phénomène religieux shī‘ite en son essence

Le phénomène shī‘ite est en son essence un phénomène religieux, tel qu'il ne pouvait éclore qu'au sein d'une « communauté du Livre » (ahl al-Kitāb), c'est-à-dire rassemblée autour du « phénomène du Livre saint » révélé par un prophète. Il procède du fait que la première et la plus urgente question devant laquelle le « Livre saint révélé » mette la communauté du Livre est celle-ci : quel en est le sens vrai ? Ce sens vrai est-il ce qu'énonce l'apparence littérale, extérieure ou exotérique ( ẓāhir) ? Ou bien cette apparence littérale n'est-elle que la métaphore et le revêtement d'un sens caché intérieur ou ésotérique ( bāṭin) ? Ce problème est commun aux herméneutes du Qorān comme aux herméneutes juifs ou chrétiens de la Bible. La profession de foi commune à tout le shī‘isme est que tout ẓāhir comporte un bāṭin, comme le déclare fermement un ḥadīth du Prophète : « Le Qorān a un exotérique et un ésotérique ; celui-ci à son tour a un ésotérique, ainsi de suite jusqu'à sept profondeurs ésotériques. » S'il en est ainsi, la mission de révéler l'exotérique et celle d'initier à l'ésotérique ne peuvent être confiées à la même personne. Il s'ensuit que l'idée shī‘ite de l'herméneutique des niveaux de signification du Qorān a partie liée avec la prophétologie shī‘ite elle-même. Au prophète incombe la mission de « révéler » la Loi religieuse, l'apparence exotérique que Dieu « fait descendre » (tanzīl) sur lui par l'intermédiaire de l'Ange. À l'Imām incombe de « reconduire » ( ta'wīl) cette apparence littérale à sa source et origine (aṣl), à son archétype ou Idée. La prophétologie se trouve ainsi nécessairement doublée par l'imāmologie ; figures du Prophète et de l'Imām sont aussi inséparables que tanzīl et ta'wīl, ẓāhir et bāṭin. C'est pourquoi, selon le jugement shī‘ite, pour que le fidèle soit non seulement un moslim (musulman), mais un croyant authentique, un vrai mu'min, il faut que sa shahādat, son attestation de foi, se déploie en une triple phase : attestation de l'Unité de l'Unique, attestation de la mission exotérique du Prophète, attestation de la mission ésotérique des Imāms.

Imām et Prophète forment ainsi une bi-unité dont les deux termes sont indissociables. Ils sont une seule Lumière manifestée en deux personnes. C'est ce que le prophète Mohạmmad notifia à plusieurs reprises au Ier Imām, ‘Alī ibn Abī Ṭālib, notamment et de la façon la plus solennelle dans le grand ḥadīth de l'investiture : « Tu es par rapport à moi comme Aaron par rapport à Moïse. » Ce rapport est confirmé par les ḥadīth dans lesquels l'Imām ‘Alī atteste que pas un mot du Qorān ne fut révélé au Prophète sans que celui-ci ne l'ait instruit personnellement de la forme authentique du texte et de tous les sens cachés qu'il recélait, si bien que l'Imām était détenteur d'un Qorān intégral et authentique qu'au lendemain de la mort du Prophète s'empressèrent de rejeter ceux qui imprimèrent alors à l'islam la direction historique... qu'ils lui imprimèrent. Cela explique les infirmités du textus receptus (la version d'Osman) dénoncées depuis toujours par tous les shī‘ites.

Le rapport entre Imām et Prophète s'exprime, d'autre part, à l'occasion de l'analyse et de l'activation de concepts caractérisant en propre le shī‘isme. C'est ainsi que le concept de nobowwat (prophétie) s'articule en un triple concept : celui de nabī (prophète tout court), celui de nabī-morsal (prophète missionné), celui de rasūl ou nabī chargé de révéler une Loi nouvelle,[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)
  • : professeur à la l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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Médias

Rouhollah Moussavi Khomeyni, 1978 - crédits : Keystone/ Getty Images

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