- 1. Les périodes
- 2. Le phénomène religieux shī‘ite en son essence
- 3. La théophanie et le plérome des Quatorze Immaculés
- 4. Les cycles de l'histoire sacrée et la parousie du XIIe Imām
- 5. Le shī‘isme iranien, des Safavides à la Constitution de 1906
- 6. Le clergé traditionnel et le modernisme inspiré par l'Occident
- 7. Khomeynī et la politisation du shī‘isme
- 8. Bibliographie
CHIISME ou SHĪ‘ISME
Le shī‘isme iranien, des Safavides à la Constitution de 1906
En plus de sa dimension théosophique, le shī‘isme a une dimension historique originale sur laquelle la Révolution islamique iranienne a attiré l'attention du monde entier. La théologie shī‘ite entretient, en effet, un rapport particulier avec le pouvoir politique puisque, pendant l'Occultation du XIIe Imām, seul souverain légitime de la communauté, tout pouvoir politique peut être un jour qualifié d'usurpateur. La situation historique de l'Iran ajoute à cette originalité : alors que le sunnisme y était jusque-là majoritaire, le shī‘isme a été imposé dans ce pays par la dynastie safavide au xvie siècle. Il y a été enrichi par la culture persane, mais l'Iran s'est retrouvé isolé entre l'Empire ottoman et l'ensemble afghan-indien. En dépit de l'évolution qui a radicalisé la politisation du shī‘isme en Iran, on n'oubliera pas que cette branche de l'islam n'a pas le monopole de la révolution islamique (qui agite beaucoup de pays sunnites) ; il ne faut donc pas voir systématiquement des shī‘ites khomeynistes derrière tous les mouvements sociaux animés par des musulmans. Sur un total mondial d'environ 750 millions de musulmans en 1984, 85 millions sont shī‘ites, parmi lesquels environ 30 millions en Iran (où ils représentent 85 p. 100 de la population), 17 millions en Inde, 15 millions au Pakistan, 6 millions en Irak (55 p. 100 de la population), 4 millions en Afghanistan, 2 millions en U.R.S.S., 1 million au Liban (ils constituent un tiers de la population et y sont en progrès) ; il existe aussi de fortes minorités shī‘ites dans les pays du golfe Arabo-persique, au Kenya et en Tanzanie.
En raison de l'importance du mouvement et de son rayonnement, l'histoire du shī‘isme en Iran mérite néanmoins une particulière attention. Lorsque Shāh Esmā‘il proclama le shī‘isme religion officielle du royaume qu'il était en train de conquérir, en 1501, il se heurta à l'absence en Iran d'institutions juridico-théologiques shī‘ites. Pour gouverner, il avait besoin d'ulémas qui reconnussent la légitimité de son pouvoir et qui pussent faire appliquer la jurisprudence de l'école ja‘farite (de Ja‘far al-al-Sādeq, le VIe Imām) ; la tradition shī‘ite iranienne antérieure, isolée dans quelques villes et semi-clandestine, n'était pas assez forte pour donner aux groupes extrémistes qui considéraient les Safavides comme des chefs charismatiques (mahdī) le contrepoids institutionnel qui assurât la pérennité du nouveau royaume. Des ulémas shī‘ites originaires de Syrie (Jabal ‘Āmel) et de Bahreyn vinrent donc leur prêter secours : ils trouvaient à la cour des Safavides une protection politique contre les vexations séculaires dont fut marquée l'histoire de leur communauté depuis les Douze Imāms.
Ces théologiens s'assignèrent pour tâche d'éliminer, par étapes successives, les résistances des sunnites, et surtout celles des croyances marginales rivales de la nouvelle orthodoxie : les sectes mystiques musulmanes (noqtavī, horufī) et même les puissantes confréries soufies, qui avaient joué néanmoins un rôle dans l'implantation du shī‘isme en Iran. Les persécutions n'épargnèrent pas les philosophes, ni la tribu des Qezelbāsh (groupe turkmène, dont les Safavides tenaient leur pouvoir charismatique), ni les zoroastriens : beaucoup durent se soumettre, disparaître ou s'enfuirent en Inde.
Le théologien le plus représentatif de ce shī‘isme « safavide », Moḥammad Bāqer Majlesī (mort en 1700), a non seulement animé la répression contre le soufisme, mais a aussi contribué à encombrer le dogme religieux d'une multitude de traditions tardives qui tendent à faire du shī‘isme une doctrine doloriste, focalisée sur le culte[...]
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Écrit par
- Henry CORBIN : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)
- Yann RICHARD : professeur à la l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Médias
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