- 1. Les périodes
- 2. Le phénomène religieux shī‘ite en son essence
- 3. La théophanie et le plérome des Quatorze Immaculés
- 4. Les cycles de l'histoire sacrée et la parousie du XIIe Imām
- 5. Le shī‘isme iranien, des Safavides à la Constitution de 1906
- 6. Le clergé traditionnel et le modernisme inspiré par l'Occident
- 7. Khomeynī et la politisation du shī‘isme
- 8. Bibliographie
CHIISME ou SHĪ‘ISME
Le clergé traditionnel et le modernisme inspiré par l'Occident
La profonde influence de Jamāloddīn et d'autres réformateurs plus ou moins marqués par l'idéal « séculariste » importé d'Occident était une menace pour les ulémas shī‘ites traditionnels. Tantôt par opportunisme, tantôt par conviction, ou bien entraînés par les soulèvements populaires, certains des plus importants mojtahed de cette période, tel Mīrzā Ḥasan Shīrāzī (en ‘Irāq), ont joué cependant un rôle décisif dans la préparation et le succès de la Révolution constitutionnelle de 1906-1909. Contrairement aux ulémas sunnites, qui dépendent généralement de l'État, les ulémas shī‘ites étaient financièrement indépendants, dotés de fondations pieuses ou entretenus par la taxe du khoms (cinquième du revenu superflu), versée directement par les fidèles. La domiciliation en ‘Irāq (dans l'Empire ottoman) des lieux saints et des centres d'études théologiques des shī‘ites, donnait en outre à ceux-ci la possibilité de résister au pouvoir central de Téhéran (cette situation s'est perpétuée pendant les quinze ans d'exil de l'āyatollāh Khomeynī à Najaf).
La Constitution de 1906, qui donnait des droits au peuple, précisait (art. 2 du Supplément) que le pouvoir du Parlement est soumis au droit de veto de cinq ulémas choisis par les mojtahed pour contrôler la conformité à l'islam des lois votées. Celui même qui fut l'auteur de cet article, Sheykh Fazlollāh Nurī, se retourna bientôt contre les révolutionnaires, dans lesquels il dénonçait des ennemis de l'islam et des agents de l'étranger (du modernisme et de la démocratie importés d'Europe). Il s'allia à Moḥammad ‘Ali Shāh, qui, à la faveur d'un coup d'État (juin 1908), suspendit la Constitution. Mais les révolutionnaires reprirent le pouvoir en juillet 1909, déposèrent le souverain absolutiste et firent exécuter le mojtahed intégriste : à partir de cette exécution, les ulémas les plus favorables à la révolution devinrent hésitants. Le modernisme les avait dépassés.
L'aboutissement de ce clivage entre un « clergé » (ruhāniyat) conservateur et un modernisme agressif soumis aux intérêts des puissances occidentales est visible dès le règne de Rezā Shāh (1925-1941) : pour fonder une nouvelle dynastie et sauver l'Iran du chaos, le nouveau chef d'État avait commencé par s'allier aux ulémas en leur donnant une garantie « morale » d'attachement à l'islam. Mais, dès la fin des années 1920, les mesures de laïcisation, parfois imitées du modèle kémaliste turc, soulevèrent l'indignation du clergé, désormais réduit au plus complet silence politique : étatisation de l'enseignement, de la justice, de l'enregistrement des actes notariés, des fondations pieuses ; uniformisation du vêtement (pour porter l'habit de mollā, il fallait se soumettre à un examen contrôlé par l'État) ; conscription obligatoire (sauf pour les étudiants en théologie officiellement reconnus), etc. La colère fut à son comble, notamment dans les villes religieuses de Mashhad et de Qom, lorsqu'un décret interdit aux femmes de se voiler en public et que la police se mit à leur arracher dans la rue le « tchador » traditionnel (1936). Une répression sanglante vint à bout des émeutes.
Le repli des ulémas devant les doctrines sécularistes envahissantes pouvait faire croire à un début d'éradication du shī‘isme. D'une part, il est vrai, on voyait triompher, dans les sphères du pouvoir et chez les intellectuels, une philosophie rationaliste et humaniste porteuse d'un projet de démocratie à l'européenne (qu'on était incapable de concrétiser autrement qu'en l'imposant par la force) : c'était la franc-maçonnerie, ou encore la nouvelle religion du progrès et de la science rêvée par[...]
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Écrit par
- Henry CORBIN : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)
- Yann RICHARD : professeur à la l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Médias
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