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CHIISME ou SHĪ‘ISME

Khomeynī et la politisation du shī‘isme

Rouhollah Moussavi Khomeyni, 1978 - crédits : Keystone/ Getty Images

Rouhollah Moussavi Khomeyni, 1978

Au cours de la période 1962-1964, l'āyatollāh Khomeynī, reconnu par certains comme marja‘-e taqlid, prend la tête d'une série de manifestations d'opposition, jusqu'à une véritable émeute en juin 1963. C'est l'époque où le Shāh, pressé par l'administration Kennedy, met en place un train de réformes imposées : d'abord, il fait supprimer la mention du Coran dans les serments des élus aux assemblées provinciales, puis accorde le droit de vote aux femmes et impose enfin une réforme agraire, dont la troisième phase menace directement les ressources financières du clergé. Khomeynī, qui avait été arrêté plusieurs fois, est finalement exilé en octobre 1964, après un discours où il s'est élevé contre les nouvelles « capitulations » que représentaient à ses yeux le statut diplomatique accordé au personnel militaire américain en Iran. Tandis que l'āyatollāh, à Najaf, continue d'être écouté par tous les religieux mécontents du régime impérial et qu'il élabore sa théorie intégriste du pouvoir, en Iran, différents groupes politiques islamiques luttent contre l'influence américaine et la corruption générale qui accompagne la « modernisation » du pays. Fondé en 1961 par Mahdī Bāzargān, l'āyatollāh Tāleqānī et Yadollāh Sahhābī, le Mouvement pour la Liberté de l'Iran (Nahzat-e Āzādī-e Irān) allie l'héritage nationaliste et libéral de Mosaddeq à un idéal politique islamique. Nombre de ses anciens membres se trouveront, lors de la Révolution islamique, aux premières places, mais parfois aux antipodes dans l'échiquier politique.

Ainsi, les Mojāhedīn du Peuple, découragés par l'impasse du parlementarisme au milieu des années soixante, ont choisi la lutte armée (à l'instar des Fedā‘iyān du Peuple marxistes-léninistes). Après une scission en 1975, dont est issu le mouvement marxiste Peykār, les Mojāhedīn ont gardé la référence religieuse. Groupés après la révolution (à laquelle ils collaborèrent activement) autour de leur chef Mas‘ud Rajavī, ils n'acceptèrent qu'avec réticence le pouvoir khomeyniste. De leur côté, les autorités de la République islamique voyaient dans les Mojāhedīn des militants fortement marxisés dont l'allégeance n'était pas fiable ; ils les appelèrent les « diviseurs » (monāfeqīn) du Peuple. Après avoir subi une répression longue et larvée, les Mojāhedīn ont trouvé un bref répit en faisant une alliance tactique avec le président Banī-Sadr, puis une fois celui-ci destitué (juin 1981), ils sont passés à la révolte armée et ont été réprimés de façon implacable.

À l'opposé, d'anciens membres du Mouvement pour la liberté de l'Iran avaient opté pour la vision khomeyniste du pouvoir islamique. Tels Jalāloddīn Fārsī et Moḥammad-‘Alī Rajā‘i (deuxième président de la République, tué en août 1981), ils vinrent, après la révolution, grossir les rangs du puissant parti clérical, le Parti de la République islamique. L'idée centrale de ce parti, fondé par des proches disciples de Khomeynī, est de bâtir un système politique islamique où le clergé est investi d'un pouvoir quasi total : c'est la théorie du « règne du juriste-théologien » (velāyat-e faqih).

Si, dans ses premières œuvres, Khomeynī n'étend pas cette théorie juridique shī‘ite à la sphère du politique, il n'en était pas moins proche, en pensée et en amitié, des milieux intégristes radicaux et des assassins de Kasravī. Après avoir été, jusqu'en 1950 environ, professeur de mystique et de philosophie à Qom, il quitte cette chaire pour celle de droit islamique (feqh) et unit l'inspiration mystique de ses débuts avec la rigueur du juridisme : il acquiert alors un grand ascendant sur le[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)
  • : professeur à la l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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Médias

Rouhollah Moussavi Khomeyni, 1978 - crédits : Keystone/ Getty Images

Rouhollah Moussavi Khomeyni, 1978

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