CHILI
Nom officiel | République du Chili |
Chef de l'État et du gouvernement | Gabriel Boric - depuis le 11 mars 2022 |
Capitale | Santiago (Le Parlement siège à Valparaíso.) |
Langue officielle | Espagnol |
Population |
19 658 835 habitants
(2023) |
Superficie |
756 700 km²
|
Article modifié le
Histoire
Les étapes de l'évolution nationale
La période coloniale
La découverte du Chili remonte à moins de cinq siècles. Diego de Almagro qui, avec Pizarre, s'intéressait surtout à l'Empire inca, fut envoyé en expédition dans le pays situé au sud du Cuzco, le Chili actuel ; il y arriva en 1536, après un périple de quatre mois à travers les déserts brûlants et la haute montagne et établit sa troupe dans la vallée d'Aconcagua. Mais, n'ayant pas trouvé d'or, en 1537, l'expédition regagna le Pérou.
Trois ans plus tard, le 20 janvier 1540, le capitaine Pedro de Valdivia, obéissant aux instructions de Charles Quint, se mit en route, à la tête de cent cinquante cavaliers, vers les territoires situés au sud du Pérou. La veille, dans la cathédrale de Cuzco, ils avaient juré de donner à la ville qu'ils allaient fonder le nom de l'apôtre saint Jacques.
Après onze mois de marche pénible, les pèlerins du Cuzco, qui avaient suivi le même chemin que leur prédécesseur, Diego de Almagro, aperçurent une vallée d'une fertilité prodigieuse. Valdivia, ébloui par le panorama de la cordillère des Andes dont la neige formait un contraste grandiose avec cette vallée ensoleillée, décida immédiatement d'y rester. Le 12 février 1541, il signa l'acte de fondation de la nouvelle cité, à laquelle il donna le nom de Santiago de la Nouvelle-Estrémadure.
Grâce aux renforts envoyés par le vice-roi du Pérou, Valdivia put affermir la conquête et fonder d'autres villes, malgré l'hostilité des indigènes. En effet l'Indien, qui jusqu'alors était apparemment soumis, ne tarda pas à se révolter ; Valdivia succomba sous l'arme d'un jeune cacique, Lautaro, auteur d'un audacieux plan d'attaque.
Le vice-roi du Pérou envoya alors au Chili son propre fils, Garcia Hurtado de Mendoza, afin de consolider la conquête et, en 1557, le nouveau gouverneur prit possession, au nom du roi d'Espagne, de tout le territoire chilien.
La domination espagnole, établie sur l'ensemble du pays, marque le début de l'organisation coloniale. Les événements qui se sont déroulés au Chili, au xviie siècle, ont fourni la matière à une véritable chronique d'horreurs : outre la guerre d'Arauco, qui devait durer trois siècles, une série de calamités entravèrent le développement de la colonisation.
Les guerres dispendieuses de Philippe II et de ses successeurs en Europe, l'expulsion des Maures et les luttes religieuses eurent des répercussions fatales sur l'économie du Chili. De plus, une sourde rivalité entre les créoles et les Espagnols « nés en Espagne » commençait déjà à se manifester. En effet, les criollos constituaient une société aristocratique et politiquement puissante. Ils se réunissaient en « conseils », sortes d'assemblées consultatives qui s'occupaient de l'administration locale des villes et jouissaient d'une certaine autonomie.
La plus haute autorité était le gouverneur, nommé par le roi. Les gouverneurs du xvie siècle, tous des militaires, furent entièrement absorbés par la guerre d'Arauco. Ceux du xviie siècle furent à la fois militaires et civils, mais tous également désireux de s'enrichir aux dépens des colons et des Indiens. Il est difficile d'imaginer que le Tribunal royal, établi à Santiago, ait pu avoir un rôle salutaire, alors qu'il dirigeait, avec une solennelle arrogance, un gouvernement faible et incapable. Cette sorte de gouvernement devait survivre durant deux siècles, de septembre 1609 à avril 1811. Le Tribunal royal fut, en somme, une de ces créations fictives du faible système administratif des pays colonisateurs de l'époque.
Dès le début du xviiie siècle, la valeur des gouverneurs s'améliora. Profitant de la paix relative dont jouissait la colonie pendant ce siècle, ils fondèrent de nouvelles villes et réalisèrent habilement les réformes qui s'imposaient. La nouvelle dynastie des Bourbons, fondée en 1700 par Philippe V, s'entoura de collaborateurs plus capables. Sur l'initiative du gouverneur de Santiago, l'université de « San Felipe » fut fondée en hommage à Philippe V, qui en avait ordonné la construction en 1756.
L'indépendance
L'éveil d'une conscience nationale
En 1767, l'expulsion des Jésuites ordonnée par le roi eut des répercussions profondes, surtout dans les milieux intellectuels, car ces religieux dirigeaient écoles et collèges, et le besoin de s'instruire se faisait fortement sentir. On peut dire que la base de l'existence coloniale au Chili était essentiellement ecclésiastique. Tous les livres étaient écrits en latin et très peu de Chiliens possédaient les chefs-d'œuvre de la littérature espagnole. Les ouvrages étrangers étaient formellement interdits, mais l'indépendance des États-Unis proclamée en 1776 et l'exemple de la Révolution française allaient inévitablement susciter chez les colons des idées d'émancipation.
À la suite de la défaite espagnole de Trafalgar (1805), tout lien entre l'Espagne et l'Amérique du Sud fut pratiquement coupé. Les Anglais ayant la voie libre s'empressèrent d'attaquer les colonies espagnoles, où ils prétendaient s'installer. En 1806, ils débarquèrent à Buenos Aires dont ils s'emparèrent par surprise. Alors le peuple se dressa en un mouvement de révolte spontané contre l'envahisseur. La ville fut défendue avec un tel patriotisme que les Anglais durent se retirer. Le sentiment national n'était pas nouveau au Chili ; il existait déjà, quoique sous une forme très vague, quand la population repoussait les corsaires anglais et hollandais qui saccageaient ses ports aux xviie et xviiie siècles.
Lorsque Santiago apprit que de graves événements s'étaient produits dans la Péninsule et que Napoléon s'était emparé du trône d'Espagne, les colons chiliens s'apprêtèrent à coopérer à la défense de la métropole et à la restauration du roi Ferdinand VII.
Certains d'entre eux cependant jugeaient préférable de former un État indépendant. Les Chiliens finirent par se diviser en deux factions : les royalistes et les patriotes. Parmi ces derniers, des hommes comme José Miguel Carrera, Manuel Rodríguez, Bernardo O'Higgins firent passer dans les faits les idées révolutionnaires de l'époque grâce à une atmosphère générale d'ardeur patriotique.
La révolution devait triompher avec la proclamation de l'indépendance du Chili le 18 septembre 1810. La municipalité de Santiago, dirigée par son procureur José Miguel Infante, par Juan Martínez de Rozas et Bernardo O'Higgins, reçut la démission du gouverneur et élut la première junte. Cependant, en 1814, les Espagnols entreprirent la reconquête, qui devait se terminer le 12 février 1817, avec la défaite de l'armée royaliste à la bataille de Chacabuco, près de Santiago, grâce au concours des troupes de San Martín.
La République
La situation du Chili, à cette époque, était celle d'un pays secoué depuis huit ans par une révolution. Les classes sociales étaient bouleversées, les services publics désorganisés et le régime colonial n'avait été que très légèrement modifié. On nomma alors le général Bernardo O'Higgins chef suprême du Chili. À la fois homme de guerre et homme d'État, il comprit fort bien que la lutte pour l'indépendance serait stérile si on ne faisait pas un effort pour augmenter les forces destinées à libérer le Pérou de la domination espagnole. Il réussit à équiper une puissante escadre, qui, le 20 août 1820, quitta Valparaíso pour le Pérou sous les ordres du général San Martin ; le 28 juillet 1821, l'indépendance du Pérou était solennellement proclamée.
Cependant, sa politique intérieure suscitant des résistances toujours plus grandes, O'Higgins abandonna le pouvoir le 28 janvier 1823.
Un nouveau général allait lui succéder : Ramón Freire. C'est sous son gouvernement que fut publié un nouveau code fondamental, appelé Constitution de l'an 1823. Mais, en 1826 il dut, à son tour, abandonner le pouvoir. De 1826 à 1830, le Chili traversa une période d'anarchie et plusieurs de ses chefs furent victimes de soulèvements militaires.
Au milieu de cette agitation, un homme s'était distingué au sein du parti conservateur, Diego Portales, qui jugula le militarisme turbulent. La nouvelle Constitution, qui fut publiée le 25 mai 1833, devait rester en vigueur jusqu'en 1925.
Ce moment marque le début d'une ère de prospérité pour le pays. En 1841, Manuel Bulnes était porté à la plus haute magistrature de l'État. Sous sa présidence, en 1844, l'Espagne signait un traité par lequel elle reconnaissait l'indépendance du Chili.
Cependant, cette ère de paix fut troublée par un problème qui caractérisait alors les rapports existant entre toutes les républiques hispano-américaines : la question de la délimitation des frontières. La guerre du Pacifique éclata le 5 avril 1879. L'armée chilienne, après de nombreux combats contre les Péruvio-Boliviens, entra victorieuse à Lima, en janvier 1881, et le Chili obtint la région riche en nitrate convoitée par les belligérants. Ainsi s'achevait ce conflit qui avait perturbé la politique de bon voisinage constamment prônée par le Chili à l'égard des autres pays de l'Amérique du Sud.
En ce qui concerne la politique intérieure, l'esprit réformiste, préconisé par tous les gouvernements libéraux de l'époque préoccupés en premier lieu de diminuer les pouvoirs excessifs du président de la République, se manifestait déjà.
Les deux tendances politiques divergeaient sur des questions d'ordre religieux et constitutionnel. Tandis que, pour les conservateurs, l'autorité politique et les dogmes religieux étaient les deux fondements du bien-être et du progrès collectifs, pour les libéraux, la liberté politique et la liberté de pensée étaient les conditions indispensables du développement social.
Sous la présidence de Domingo Santa María (1881-1886) furent promulguées les lois de laïcité, dites « du Registre civil ».
Une des administrations les plus progressistes dont on ait souvenir en Amérique latine fut celle du président José Manuel Balmaceda (1888-1891). C'est durant cette présidence que s'exprimèrent les premières revendications des salariés.
Le président Balmaceda, au début de l'année 1891, vit éclater un grave conflit qui devait aboutir à un nouveau régime politique, le parlementarisme, dans lequel le pouvoir exécutif était soumis à l'autorité du Congrès. Ainsi, l'instabilité ministérielle devint le régime normal de gouvernement pendant les trente-trois années que dura le parlementarisme (1892-1924). Les phénomènes sociaux apparus en Europe à la fin de la Première Guerre mondiale ne tardèrent pas à avoir leurs répercussions au Chili.
Un puissant mouvement réformiste porte à la présidence Arturo Alessandri, qui propose au Congrès l'adoption d'un groupe de lois destinées à promouvoir la justice sociale à l'égard des travailleurs. C'est alors qu'est adoptée la Constitution de 1925.
Le gouvernement du président Carlos Ibáñez del Campo (1927-1931) se caractérisa par une continuelle et âpre lutte pour assurer les attributions que la réforme concédait au pouvoir exécutif. La crise économique mondiale de 1929 affecta durement le Chili et occasionna des remous politiques qui aboutiront finalement à la démission du président Ibáñez.
Un second mandat fut alors confié au président Alessandri (1932-1938), qui lui permit d'affermir le régime constitutionnel et de réaliser d'autres œuvres de progrès.
Évolution institutionnelle et forces politiques
1938 marque un tournant dans la vie politique du Chili ; cette année, le candidat du Front populaire (créé en 1936), le radical Pedro Aguirre Cerda, l'emporte sur celui de la droite, l'ancien ministre des Finances d'Arturo Alessandri, Gustavo Ross. Les forces du centre occupent alors durablement la scène politique ; elles forment, pendant les trente années qui vont suivre, les gouvernements et les majorités parlementaires qui sont à la base des deux phénomènes majeurs des années à venir : l'industrialisation (c'est pendant le gouvernement d'Aguirre Cerda que fut créée la Corporación de fomento de la producción, ou Corfo, organisme chargé de développer l'économie) et l'équilibre politique.
En 1942, à la mort d'Aguirre Cerda, le radical Juan A. Ríos gagne les élections face à Carlos Ibáñez, candidat des libéraux et des conservateurs. En 1946, Gabriel González Videla, radical, est désigné comme candidat présidentiel par une convention de gauche à laquelle s'est joint le Parti communiste ; un an plus tard, ce dernier est chassé du gouvernement et, par le biais de la promulgation de la « loi de défense permanente de la démocratie », la « loi maudite », il est déclaré illégal. L'élection de Carlos Ibáñez en 1952 est le résultat d'un nouveau regroupement au centre (le Parti agraire-travailliste), qui aura plus tard l'appui conservateur, avant de rassembler, vers la fin de son mandat, une majorité de gauche qui approuve une importante réforme électorale et l'abrogation de la loi de défense de la démocratie.
En 1958, Jorge Alessandri (fils de l'ancien président) est élu de justesse devant le candidat du Front d'action populaire, Salvador Allende, et il peut compter, une fois de plus, sur l'appui des radicaux ; il constitue le gouvernement où s'expriment le plus clairement les intérêts de la bourgeoisie monopoliste et financière. Son alliance de Front démocratique, résultat d'une élection complémentaire, est rompue, et les libéraux et les conservateurs appuient « sans condition » le candidat démocrate-chrétien, Eduardo Frei qui, en 1964, sera élu à la majorité absolue des suffrages devant Salvador Allende.
Le projet démocrate-chrétien, dont la plus grande cohésion sera obtenue au cours des deux premières années du gouvernement d'Eduardo Frei, tend fondamentalement à la constitution d'une bourgeoisie industrielle moderne, sur la base d'une homogénéisation de l'État et de son renforcement. Cette volonté étatique nécessite un rééquilibrage du système politique par son ouverture à la participation institutionnalisée des nouveaux secteurs sociaux qui avaient complètement transformé la structure du corps social au cours des années précédentes (paysans, sous-prolétaires des villes) et par le vote des femmes. Ce rééquilibrage impliquait une importante réduction du pouvoir de négociation de la classe ouvrière dans le système politique et le renforcement de l'influence des secteurs les plus modernes des couches moyennes.
Le projet démocrate-chrétien tenait à plusieurs conditions qui ont constitué autant d'initiatives du gouvernement Frei.
En premier lieu, il fallait parvenir à un important transfert vers l'industrie de l'excédent de ressources financières provenant de l'extraction minière (cuivre) et de l'agriculture. Cela nécessitait l'intervention de l'État ; c'est ce que Frei tenta avec la « chilénisation » du cuivre et avec la politique de réforme agraire qui cherchait à éliminer les secteurs latifundiaires.
Il fallait ensuite augmenter considérablement les investissements par la nouvelle phase du développement industriel. Mais la bourgeoisie chilienne – même ses secteurs monopolistes – est trop faible pour le faire : c'est la clef de l'échec du projet Frei. L'investissement public (l'État assure à l'époque 75 % de l'investissement productif) devra compenser la carence de l'investissement privé, ce qui entraîne un fort endettement extérieur et l'ouverture aux investissements étrangers ; ceux-ci sont, dans un premier temps, associés à l'État (entreprises mixtes) ; par la suite, ils s'entendront directement avec le capital privé national, frayant le chemin à la mainmise étrangère sur tous les secteurs de l'économie.
En troisième lieu, ce projet avait besoin d'un élargissement considérable du marché. Du point de vue du marché intérieur, c'est le but que poursuivaient la réforme agraire et l'ensemble des programmes sociaux (logement, promotion populaire, éducation, santé) ; du point de vue du marché extérieur, c'est l'objectif que visait le marché sous-régional créé par le pacte Andin.
Tout ce projet supposait l'existence d'importantes conditions politiques préalables. La principale était la possibilité d'exercer un contrôle effectif sur le mécanisme de décision étatique afin de rendre homogène son intervention sur les plans économique et social. Ainsi s'explique la décision inébranlable de Frei de constituer un gouvernement « unicolore », et ses appels plébiscitaires successifs. Le Parti démocrate-chrétien ne constitue pas d'alliance gouvernementale surtout parce que son projet et sa spécificité ne le lui permettent pas. La lutte entre les différents pouvoirs (exécutif-législatif) de l'État chilien empêche Frei de parvenir à l'homogénéité nécessaire à son action gouvernementale. Il tente alors de réduire les marges d'intervention, surtout en matière économique, des principales forces opposées à son projet. Les deux exemples les plus clairs sont sa tentative de restreindre la capacité de négociation de la classe ouvrière en limitant le droit de grève et en suscitant des formes parallèles d'organisation syndicale, et, par ailleurs, la proposition d'un ensemble de réformes constitutionnelles tendant à renforcer le caractère présidentiel du régime en enlevant au pouvoir législatif beaucoup de ses attributions en matière économique.
Jusqu'en 1966, la politique sociale du gouvernement démocrate-chrétien lui permet de jouir d'une forte popularité ; en 1967, les rapports entre le Parti démocrate-chrétien (PDC) et le gouvernement Frei traversent une crise ; l'aile gauche contrôle le parti et adopte le plan « pour une voie non capitaliste du développement », mais son effort pour l'imposer au gouvernement échoue dans la seconde moitié du sextennat. Cette situation se prolonge jusqu'au début de 1968 lorsque Frei renverse la direction de gauche animée par Rafael A. Gumucio et reprend le contrôle de son parti. Pourtant, les conflits sociaux augmentent dans des proportions sans précédent : on passe de 723 grèves en 1965, avec 182 359 travailleurs, à 1 819 grèves en 1970 avec 656 170 travailleurs. Les occupations illégales de terres cultivables se multiplient ainsi que celles des entreprises et des terrains à bâtir ; en 1969, les catholiques de gauche occupent la cathédrale de Santiago et, la même année, des militaires conduits par le général Viaux occupent une caserne. En novembre 1969, le Ve Congrès national de la Centrale unique des travailleurs du Chili (CUT) se réunit avec pour mot d'ordre : « Unité des travailleurs pour des changements révolutionnaires ».
C'est en 1953 que la CUT, la plus importante organisation nationale qu'ait connue le mouvement syndical chilien, avait été fondée. En 1972, sa direction nationale est élue au suffrage direct et les tendances liées aux partis communiste, socialiste et démocrate-chrétien recueillent, dans cet ordre, le plus grand nombre de voix. (La CUT sera déclarée illégale en 1973, peu après le coup d'État du général Pinochet.)
Pendant ce temps, et après l'important recul de 1965, les forces de droite poursuivent leur réarmement ; la fondation du Parti national en 1965 est davantage que la simple fusion entre libéraux et conservateurs : un discours nationaliste et autoritaire et une nouvelle élite de dirigeants tendent à remplacer les orientations et les dirigeants historiques de la droite républicaine. Pour sa part, le Parti radical est secoué par de profondes contradictions. Il éclatera, par la suite, en trois fractions : une aile gauche, qui garde le nom original et soutient Salvador Allende ; une aile droite, la Démocratie radicale et, plus tard, lors d'une troisième scission, le Parti de gauche radical qui, après avoir soutenu le gouvernement Allende, passera à l'opposition de droite.
Le 4 mai 1969, les membres d'une junte nationale du Parti démocrate-chrétien votent pour décider de la stratégie à adopter : soit l'alliance avec la gauche, soit une voie indépendante ; cette dernière solution l'emporte par 233 voix contre 215 ; peu après, le PDC fait de Radomiro Tomic son candidat à la présidence pour les élections de septembre 1970. Ce choix du PDC provoque le départ de son aile gauche ; celle-ci deviendra bientôt le Mouvement d'action populaire unitaire (MAPU), qui, avec les partis communiste, socialiste, radical, social-démocrate et l'Action populaire indépendante, va se concentrer autour du programme de l' Unité populaire et faire, au début de 1970, de Salvador Allende son candidat à la présidence.
L'Église et l'État
Jusqu'aux années cinquante, l' Église pensait qu'il était naturel qu'un catholique appartînt au Parti conservateur (confessionnel catholique) ; séparée de l'État à partir de la Constitution de 1925, elle continua à jouer un important rôle de contrôle social, particulièrement dans les campagnes. Cependant, depuis l'époque de la « question sociale », au début du siècle, des tendances inspirées de la « doctrine sociale de l'Église », aux accents progressistes, avaient commencé à s'exprimer. Des cas isolés au début, notamment ceux des prêtres Vives et Hurtado, ont pourtant influencé la formation du noyau de jeunes qui est à l'origine de la Phalange, et plus tard du PDC ; le père Hurtado, fondateur du Hogar de Cristo (Foyer du Christ) et de la revue Mensaje, eut une influence décisive sur le mouvement syndical catholique pendant les années quarante.
Dans les années soixante, l'Église est aussi affectée par l'ébranlement de la société chilienne et, soutenue par les orientations de l'encycliqueMater et magistra et du IIe concile du Vatican, elle cherche une perspective pastorale populaire qui l'amènera, sous le gouvernement Frei, à une importante identité de vues avec le programme démocrate-chrétien, en particulier avec sa politique sociale.
En 1967, le conflit qui secoue les universités catholiques de Valparaíso et de Santiago et qui déclenche le mouvement de réforme universitaire dans tout le pays reflète la diversité de vues qui existe à l'intérieur de l'Église. Plus tard, la crise du Parti démocrate-chrétien et la formation du MAPU (1969) créent les conditions du surgissement d'une « gauche » dans l'Église (surtout au niveau de la base et d'un groupe de prêtres) : elle apparaîtra à l'occasion de l'occupation de la cathédrale de Santiago, le 11 août 1969 – deux ans exactement après l'occupation du siège central de l'université catholique – avec pour slogan : « Pour une Église au côté du peuple en lutte », d'où sortira l'« Église jeune », antécédent direct du mouvement Chrétiens pour le socialisme (1971).
Les forces armées
Jusqu'en 1973, c'était un lieu commun dans la culture politique chilienne que d'affirmer que, par définition et dans l'histoire, les forces armées étaient « professionnelles, respectueuses de la Constitution et de la loi » ; pourtant, tout au long de l'histoire du Chili et jusqu'à la veille du coup d'État du 11 septembre 1973, maintes interventions militaires dans la vie politique peuvent être signalées. Depuis l'époque de Diego Portales, vainqueur de la guerre civile de 1829, l'armée a été présente lors des transformations politiques les plus importantes de ces cent soixante-dix années de vie indépendante. En effet, l'État de Portales et son apparence de régime civil n'avaient pas mis fin à l'anarchie des années précédentes par la seule force légale de la Constitution de 1833. La fin de l'anarchie ne vint qu'avec le démantèlement de toutes les forces militaires issues de la lutte pour l'indépendance. Ce qui fut obtenu essentiellement par une vigoureuse réduction des effectifs militaires, par l'élimination des chefs non soumis à Portales, et surtout par la création de la garde civile (milices portaliennes) comptant approximativement 25 000 hommes. Il est clair que, dans ces conditions, les possibilités de réussite d'une intervention militaire étaient limitées : le pouvoir militaire se soumit au pouvoir civil établi. Il y eut néanmoins des soulèvements militaires : celui qui coûta la vie à Portales en 1837 et les échecs révolutionnaires de 1851 et 1859.
Avec la guerre du Pacifique, en 1879, prend fin l'équilibre militaire fondé sur la prédominance des gardes civiles de Portales, et s'ouvre une phase de professionnalisation de l'armée de terre et de la marine, au sein desquelles s'expriment divers secteurs sociaux. Ainsi la guerre civile de 1891 va-t-elle signifier le triomphe de l'oligarchie qui a fondé son pouvoir sur la marine. Ainsi, en plein régime parlementaire, l'oligarchie redécouvre-t-elle les vertus civiques de l'époque de Portales, estimant nécessaire de limiter les possibilités d'intervention politique des forces armées sans pour autant en revenir au système des gardes civiles, qui pourrait signifier une baisse importante du potentiel de combat dans un moment de graves tensions frontalières avec l'Argentine. Enfin, la loi sur le service militaire obligatoire est promulguée le 5 septembre 1900.
L'appareil militaire ainsi constitué va traverser sans grand conflit toute la période répressive qui est liée à la « question sociale » ; et c'est seulement en 1919, avec le complot (sans grand lendemain) de la « société de l'armée de régénération », que se manifeste le premier signe évident de malaise au sein de l'armée, dont le rôle sera décisif dans les quinze années qui vont suivre. Non seulement la période du pouvoir oligarchique a été ouverte en 1891 et close en 1925 par des interventions militaires, mais aussi le nouveau cadre constitutionnel (Constitution de 1925, Code du travail) est le résultat direct des interventions militaires de 1924 à 1925 ; et jusqu'en 1932 l'armée occupe le devant de la scène ; à la chute d'Ibáñez en 1931, J. E. Montero, radical, est élu président, et bientôt renversé. Suivent une série de coups d'État au nombre desquels il faut compter la République socialiste des douze jours de juin 1932 (dirigée par Marmaduke Grove, commandant de la force aérienne, lié à Ibáñez et, plus tard, leader national du jeune Parti socialiste).
Ces faits convainquent la bourgeoisie chilienne de la fragilité du soutien militaire dont elle dispose ; et, en même temps qu'elle rétablit un équilibre militaire fondé sur une reconstitution massive des gardes civiles (milices républicaines) dans le style de l'époque de Portales, elle prêche le retour aux vertus civiques. Celles-ci ne sont que l'apparence qui résulte des formes d'action que les forces armées adoptent en assumant leur nouveau rôle politique : ainsi la non-intervention militaire (fin de l'époque marquée par la conspiration) ne signifie-t-elle pas neutralité politique mais adoption de nouveaux comportements qui vont marquer les limites du processus général de démocratisation de la société chilienne.
L'historiographie chilienne contemporaine a beaucoup insisté sur le caractère professionnel et constitutionnel des forces armées chiliennes. Les événements liés au coup d'État militaire du 11 septembre 1973 obligent à nuancer considérablement ces analyses. On voit ainsi, d'une part, les différents putschs avortés à partir de 1938 ; celui du général Ariosto Herrera en 1939, celui de la « ligne droite » sous la présidence de l'ancien général Ibáñez (1952-1958), celui, en 1969, du général Viaux qui, l'année suivante, sera l'instigateur du complot qui coûtera la vie au général René Schneider, commandant en chef de l'armée. D'autre part, on constate les participations successives en tant que ministres – surtout de la Défense et de l'Intérieur – de généraux d'active qui ont eu des responsabilités directes dans la répression des manifestations populaires et des grèves générales (1947, 1956, 1961). Mais c'est dans l'équilibre même de ce qu'on a appelé l'État de compromis à partir des années trente qu'on doit trouver les racines de ces « enclaves autoritaires », qui constituaient une sorte d'« État de réserve », composé des forces armées, de la Contraloria (à la fois Conseil d'État et Cour des comptes) et du pouvoir judiciaire, et qui sont restées en marge du processus de démocratisation du système politique et de l'ensemble de la société.
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Écrit par
- Raimundo AVALOS : secrétaire d'Ambassade de la République du Chili
- Olivier COMPAGNON : professeur d'histoire contemporaine, université Sorbonne nouvelle, Institut des hautes études de l'Amérique latine
- Roland PASKOFF : professeur des Universités
- Sergio SPOERER : docteur en sociologie
- Sébastien VELUT : professeur de géographie à l'Institut des Hautes études d'Amérique latine, Université de Paris III-Sorbonne nouvelle
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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