CHINE Politique religieuse
L'État chinois et le « réveil religieux »
Peut-on légitimement parler d'un « réveil religieux » dans la Chine d'aujourd'hui ? En tout état de cause, émettre l'hypothèse d'un retour du religieux situe a priori la question dans la continuité d'une histoire. Après une période de « glaciation » courant de la guerre sino-japonaise jusqu'au début de l'ère de réforme et d'ouverture, un débat et une interaction reprennent vie : débat sur la place des croyances et institutions religieuses dans la vie individuelle et sociale, interaction entre religions tout à la fois complices et rivales. Ces deux phénomènes caractérisaient déjà la période qui avait immédiatement suivi la première révolution chinoise, en 1912. Vers cette époque, constater l'autonomisation achevée de la sphère du religieux, c'était d'une certaine façon saluer l'entrée de la Chine dans la modernité. Et c'est toujours quelque chose de cet ordre qui se trouve en jeu aujourd'hui.
Vers 1979, la plupart des observateurs pensaient que croyances et groupements religieux avaient été éradiqués du territoire chinois. Dix années de révolution culturelle avaient entraîné la destruction des temples populaires, églises chrétiennes, monastères bouddhistes, la persécution de tous les clercs et la mort de beaucoup d'entre eux. Dans la période précédant immédiatement ces événements, l'encadrement sévère des religions « officielles » par les « associations patriotiques », comme l'interdiction de tout contact avec l'étranger avaient déjà fortement réduit l'espace religieux. La politique poursuivie après 1979 a donc eu pour effet de reconstruire un espace limité et contrôlé pour les religions officielles : l'administration des affaires religieuses veille à ce que les groupements locaux ne menacent pas l'ordre public : les associations patriotiques assurent la conformité idéologique des positions publiques prises par les religions. Mais, à l'intérieur des monastères reconstitués, les vieux moines revenus de la campagne peuvent reprendre la vie monastique et accueillir des novices, les congrégations catholiques locales peuvent recevoir des religieuses postulantes, les églises se rouvrent au culte, les pèlerinages taoïstes reprennent...
Les croyants des diverses confessions ressortent alors de l'ombre, silencieusement, par étapes. Certains décident de profiter des ouvertures, même limitées, qui se profilent ainsi pour reprendre une vie presque normale et assurer la continuité des institutions auxquelles ils appartiennent. D'autres refusent des compromissions qui leur paraissent excessives, tout en profitant du relatif relâchement des contrôles pour constituer des communautés clandestines ou simplement non déclarées. Les situations locales varient fortement. Dès qu'une expression croyante apparaît comme une menace pour l'ordre public ou à la cohésion nationale (bouddhisme tibétain, musulmans du Xinjiang, villages du Fujian ou du Gangzhou gagnés par la fièvre pentecôtiste), les autorités interviennent. Dans ces occasions, se produisent souvent des arrestations ou la destruction des lieux de réunion. Nonobstant ces contrôles et ces coups d'arrêt, en l'espace de trente ans, les structures de culte et de formation se consolident, les communautés croyantes grandissent, les interactions avec des donateurs étrangers (associations bouddhistes japonaises ou taïwanaises, réseaux internationaux catholiques et protestants) contribuent à la formation des clercs, à la reconstruction des édifices, à une (modeste) capacité d'intervention caritative des groupes religieux dans leur environnement social. Parallèlement, au moins dans certaines provinces, la religiosité populaire se manifeste par la reconstruction des temples ancestraux et la reconstitution (parfois quelque peu fantaisiste) du registre généalogique[...]
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Écrit par
- Benoît VERMANDER : directeur de l'Institut Ricci de Taipei
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