CHINOISE (CIVILISATION) La littérature
La critique littéraire
Perspectives historiques
La notion de littérature ne se dégage que progressivement au sein de la culture de la Chine ancienne et, à l'origine, la tradition chinoise du commentaire intègre le fait littéraire à des considérations plus générales, d'ordre moral et politique : quand Confucius recommande la lecture du Classique de la poésie, le Shi, c'est pour utiliser ce texte comme référence fondatrice de son propre discours et mettre en valeur l'aptitude du poème à stimuler la conscience dans le sens d'un progrès de la personne. Une telle conception du commentaire, qui aboutit à de vastes ensembles critiques dès l'époque des Han (aux alentours de l'ère chrétienne, en particulier chez Ma Rong et Zheng Xuan), continuera longtemps à ne point dissocier l'interprétation textuelle du souci essentiellement pragmatique qui caractérise toute la pensée de la Chine antique.
Il faut donc attendre l'effondrement de ce cadre idéologique, à la fin de l'Empire des Han, pour que se fasse jour, avec l'émergence de valeurs purement esthétiques, la prise de conscience d'une véritable spécificité littéraire. C'est au bref essai de Cao Pi, Sur la littérature (Dianlun lunwen) qu'il revient ainsi de marquer le début de la critique littéraire proprement dite. Le magnifique poème que Lu Ji consacre, au iiie siècle, à la célébration de l'expérience littéraire est centré tout entier sur les rapports qui relient sens (yi) et expression (wen) ainsi que sur l'importance des qualités d'équilibre, permettant, seules, d'atteindre la beauté. De même, au ve siècle, dans la Préface de son traité Sur la poésie, le Shipin, Zhong Hong tente de rendre compte globalement de l'essence du langage poétique et il retient aussi de la tradition contemporaine d'évaluation par niveaux (pin) l'idée nouvelle d'un classement des poètes par degrés de qualité (tradition qui prévaut également dans le domaine de la critique picturale et calligraphique). Une telle réflexion critique, attentive à la valeur littéraire des œuvres, aboutit logiquement à la constitution d'anthologies littéraires dont le Wenxuan de Xiao Tong (vie s.) offre l'exemple le plus illustre.
S'il existe une œuvre d'ensemble dans le domaine de la réflexion théorique et critique concernant la littérature au sein de la culture chinoise, c'est à coup sûr le Wenxin diaolong de Liu Xie, au vie siècle, puisqu'il traite à la fois de l'origine de la littérature, du statut des classiques et des différents genres littéraires, de même que de l'expérience de l'écrivain et des divers modes de l'expression littéraire. Par la variété des influences qui l'enrichissent (confucéenne mais aussi bouddhique), par la diversité des aspects envisagés ainsi que par la profondeur de son intuition du phénomène littéraire, l'œuvre de Liu Xie apparaît aujourd'hui comme une somme unique dans toute l'histoire de la réflexion sur la littérature, en Chine et hors d'elle, – même si la tradition chinoise ne s'y est vraiment intéressée qu'à partir d'une époque très récente.
En effet, la tradition des lettrés ne poursuivra guère dans le sens d'une réflexion aussi continue et organisée. Dès l'époque suivante, sous les Tang, la réflexion littéraire s'exprime surtout par des lettres (telle la célèbre lettre adressée par Bo Juyi à Yuan Zhen, qui reste un des exposés les plus représentatifs de l'interprétation confucéenne de la littérature) ou par le biais de l'expression poétique, comme dans le Shipin de Sikong Tu, où est évoquée allusivement, en vingt-quatre poèmes, la diversité des modes (et des mondes) poétiques.
Cette tendance à ne pas laisser le commentaire se constituer en analyse systématique[...]
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Écrit par
- Paul DEMIÉVILLE : membre de l'Institut, professeur honoraire au Collège de France
- Jean-Pierre DIÉNY : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
- Yves HERVOUET : professeur à l'université de Paris-VII, directeur de l'Institut des hautes études chinoises au Collège de France
- François JULLIEN : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, maître assistant à l'université de Paris-VIII, Saint-Denis
- Angel PINO : professeur émérite des Universités, université Bordeaux Montaigne
- Isabelle RABUT : professeure émérite à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO)
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