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CHINOISE (CIVILISATION) La médecine en Chine

Médecine occidentale et médecine chinoise : d'un régime de tolérance vers un régime de compétition et de la nécessité de se définir

En fait, jusqu'à la fin du xixe siècle, il est plus juste de parler de médecine – voire de médecines – en Chine que de médecine chinoise, les acteurs impliqués dans l'assistance médicale ne revendiquant alors aucune essence nationale à leur corpus de doctrines et de pratiques médicales. Ce n'est qu'une fois mis en concurrence avec des praticiens formés à la médecine occidentale – principalement envoyés par les missions protestantes américaines, mais aussi européennes, depuis le milieu du xixe siècle – qu'ils vont devoir ajouter un qualificatif à ce qu'ils appelaient jusqu'alors médecine yixue. L'histoire des divers adjectifs accolés à cette médecine dans la première partie du xxe siècle est intéressante à plus d'un titre : elle rend compte de l'accueil plus ou moins hostile que lui réservent les différents régimes chinois en ce début de xxe siècle ; de l'embarras que ce corpus « indigène » de savoirs et de pratiques cause aux gouvernements nationaliste et communiste, partagés entre la cause anti-impérialiste et l'attrait pour les sciences occidentales ; enfin, elle rend compte des différentes valeurs invoquées depuis un siècle pour rendre cette médecine légitime en Chine et à l'étranger.

Jusqu'en 1913 – malgré l'expansion de la médecine occidentale en Chine favorisée par l'établissement, depuis le début du xixe siècle, de quelque deux cents dispensaires et hôpitaux étrangers et d'une vingtaine d'écoles de médecine, mais aussi par la création, à l'initiative de quelques gouverneurs provinciaux, d'écoles et d'hôpitaux chinois de médecine occidentale –, il règne un régime de relative anarchie et de non-compétition entre les différentes médecines. Le climat se détériore en 1913, à l'annonce par le ministre de l'Éducation Wang Daxie, de la toute nouvelle république, d'abolir la médecine chinoise. Cette annonce soulève de vives protestations et incite les médecins chinois à s'organiser. La tension est à son comble lorsque, en 1929, le régime nationaliste, établi à Nankin depuis 1927 et dans lequel les médecins formés à la médecine occidentale dominent, lance un plan d'élimination de la médecine chinoise. Pour les praticiens chinois formés à la médecine occidentale, l'opposition entre les deux médecines, que doit traduire leur appellation réciproque, ne doit pas porter sur l'essence chinoise Zhong ou occidentale xi, mais sur le caractère vieux Jiu d'un côté et nouveau Xin de l'autre. Pour les praticiens de médecine chinoise, « vieille médecine jiuyi » est inacceptable. C'est dans le champ lexical du nationalisme qu'ils vont puiser le qualificatif ingénieux distinguant la médecine chinoise de sa désormais rivale sans la reléguer dans les vieilleries. Ils la baptisent « médecine nationale guoyi » et alertent la population qu'abolir cette médecine ne serait rien d'autre que promouvoir l'impérialisme et l'antipatriotisme. La médecine chinoise, pour quelques années « médecine nationale », n'est pas abolie sous le Guomindang.

Sous le gouvernement communiste, la médecine chinoise est soumise à divers régimes de faveur qui se reflètent là encore dans les différents qualificatifs qui lui sont associés. Créer une nouvelle Chine, souveraine et débarrassée des pressions étrangères, mais aussi amputée de ses superstitions, tel était le projet de Mao Zedong avant qu'il accède au pouvoir. La médecine chinoise et tout son arrière-plan cosmologique étaient en partie suspects, l'acuponcture la sauve. Moyen thérapeutique peu coûteux et en voie de légitimation par les recherches scientifiques[...]

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Écrit par

  • : chargée de recherche au CNRS, REHSEIS, Laboratoire SPHERE, CNRS, UMR 7219, université de Paris-VII-Denis-Diderot

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Médias

Médecin chinois, XIX<sup>e</sup> siècle - crédits : Spencer Arnold/ Hulton Archive/ Getty Images

Médecin chinois, XIXe siècle

Acupuncture - crédits : Fox Photos/ Hulton Archive/ Getty Images

Acupuncture

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