CHINOISE (CIVILISATION) La pensée chinoise
Wu et dao
Avant d'évoquer le dao – et l'on ne peut guère que l'évoquer – il faut mettre en exergue le mot wu, sans doute le plus important de la langue chinoise.
Jusqu'en 1911, année de son effondrement, le trône des empereurs de Chine était surmonté d'un panneau de laque qui portait l'inscription wuwei, généralement rendue par : non-agir, ne pas agir, ne pas intervenir (Kaltenmark), venue du fond des âges et élevée au rang de devise nationale.
Dans wuwei, c'est wu qui compte (son antonyme est you). On traduit littéralement wu par : « ne, ne... pas, sans ». Mais c'est trop ou trop peu dire : l'identité, partant la contradiction, n'ayant pas pour les Chinois la valeur d'un principe d'exclusion, il y a, entre oui et non, plus et autre chose qu'entre la pure affirmation et la pure négation. « Celui qui d'abord pense par you ou par wu égarera sa vie », dit Zhaozhu, maître bouddhiste de l'époque Tang (environ 800 apr. J.-C.). Wu représente, inhérent à elle, un complément à l'affirmation ; comme la virtualité qu'elle recèle d'un changement informulable mais inéluctable. Wuwei ne nie pas l'action ; il signifie : « ne trouble pas l'action par l'action », puisque déjà elle se défait tandis qu'elle s'accomplit. Et l'essentiel du sens est porté par wu. Un wu se cache dans ou derrière chaque assertion de la langue chinoise. Chaque être est autre chose, et même autres choses. Autre encore il deviendra. Concours transitoire de possibles actualisés en présent, il ne se dévoile pas sur fond d'être selon une essence ; ni l'être ne se dévoile surgissant du néant. L'important est l'écart innommable et vertigineux qui sépare le probable de l'accompli, plus mince que le fil du rasoir et qui fait le présent plus vaste que toute immensité. Cet entre-rien-et-quelque-chose, à la fois contingence et nécessité, à quoi nulle chose n'échappe, cet innommable demeure l'innominé. Le mot dao, qui ne renvoie à aucun contenu conceptuel, en est l'index. En l'unité suprême de l'univers, taiyi, réside l'hiérophanie du dao.
De même que les mathématiciens parlent du calcul ternaire, réservé à certain type de computeur, en faisant observer qu'il résiste à l'entendement humain, de même les Chinois évoquent ou invoquent le dao.
Celui qui parvient à briser la muraille de l'entendement ou, mieux, à la dissoudre en dissolvant l'entendement lui-même pour se retrouver – dès lors sans objectivité – réunifié en taiyi, par une sorte de coalescence que le langage est impuissant à énoncer, celui-là est le zhen ren, « l'homme véritable », « l'homme qui chevauche le vent ». In vivo, il a connu le dao. L'homme ordinaire, enchaîné par les désirs et les passions, l'homme malheureux, l'homme malade, en sont les contraires.
Il existe des pratiques qui visent à provoquer ce « résultat » (appelé à tort extase), mais ne le promettent pas plus que la prière ne promet la sainteté. Transmises de maître à disciple, elles n'ont pas tout à fait disparu.
Dans le monde phénoménal, qui, sous ses multiples aspects, révèle les aspects mêmes du qi, on reconnaît assez improprement le « pouvoir », l'« efficace » du dao. Ce pouvoir intrinsèque, ou génie de la chose, du fait, de l'acte, ce de, appelé encore « vertu » par nombre de traducteurs, ne saurait être considéré comme l'instrument du dao. Ce serait conférer l'être ou une sorte d'être au dao ; lequel n'a point d'attributs, de qualifications. Le de, c'est le « il » de « il se fait que... », « il arrive que... », selon le sens le plus impersonnel du pronom « il », comme dans des locutions aussi triviales et troublantes à la réflexion que : « il[...]
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Écrit par
- Claude GRÉGORY : fondateur d'Encyclopædia Universalis et directeur de la première édition
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