CHINOISE (CIVILISATION) Sciences et techniques
Pour la Chine, comme pour d'autres civilisations, plus on remonte le temps, plus il devient difficile de préciser ce qu'on doit entendre exactement par « science ». C'est pourquoi la « science chinoise » peut se définir de plusieurs manières : il peut s'agir de toute idée, découverte ou méthode chinoise qui joue encore un rôle dans la science actuelle, mais ce peut être aussi l'ensemble des traditions visant à interpréter ou à agir sur la nature qui se sont développées dans le monde chinois. La première définition conduit souvent à présenter le savoir ancien comme un océan d'erreurs duquel émergent de temps à autre les brillantes anticipations de précurseurs géniaux : Zhang Heng (78-139), inventeur du premier sismographe connu, devient géophysicien, l'alchimiste Sun Simo (viie s.), biochimiste et, à l'extrême, Zhuangzi, penseur de la relativité. Il en découle donc une classification des savoirs anciens calquée sur les catégories de la science actuelle, supposées a priori universelles et atemporelles. Une telle approche trahit souvent les réalités historiques : parler sans réserves de physique ou de biologie chinoises oblige à regrouper artificiellement des ensembles de faits initialement épars et sans cohérence globale, et contraint à attribuer aux anciens des motivations qui ne pouvaient pas être les leurs. La seconde définition, plus soucieuse d'histoire que de téléologie, vise à comprendre le passé à partir du passé plutôt qu'à partir du présent, et invite à rendre compte d'interactions complexes entre facteurs multiples, internes comme externes, qui ont agi sur la vie des idées dans leur contexte historique : d'où, par exemple, l'éclairage de l'histoire de l'alchimie par le taoïsme, et celui de l'astronomie par le ritualisme divinatoire. Toutefois, il ne faudrait pas confondre sciences, techniques et philosophie, ni oublier qu'il existe des sciences chinoises indépendantes de pratiques magico-religieuses : aucun lien de continuité ne permet d'associer les conceptions protocolaires et emblématiques des nombres propres aux devins de l'Antiquité, dont parle Marcel Granet, à celles purement rationnelles de mathématiciens comme Liu Hui (iiie s.), Zu Chongzhi (ve s.), Li Shunfeng (viie s.).
Plusieurs jugements contradictoires, trop souvent entachés de partialité, ont été portés sur les sciences chinoises. Certains savants, comme le père Gaubil au xviiie siècle, ou Jean-Baptiste Biot au xixe siècle, ont défendu l'idée d'une très haute antiquité de celles-ci (xxve s. av. notre ère). Mais ces déductions reposaient sur des textes apocryphes et sur une chronologie chinoise parfaitement mythique. Pour d'autres, la science chinoise ne serait qu'un ensemble inorganisé de connaissances empiriques, et le peu de vérité qu'on y trouverait ne pourrait s'expliquer que par des emprunts aux autres civilisations : en 1760, Joseph de Guignes écrit un mémoire pour prouver que « les Chinois sont une colonie égyptienne » ; au début du xxe siècle, l'historien japonais Iijima Tadao tente sans grand succès de faire dériver toute l'astronomie chinoise de celle des Babyloniens. En même temps que l'on se sert des ressemblances entre cultures pour conclure à des influences unilatérales de l'Occident sur la Chine, les différences sont jugées révélatrices d'une infériorité chinoise de principe, en vertu du préjugé courant selon lequel tout savoir scientifique ne peut venir que du monde européen, inventeur de la méthode expérimentale et porteur de l'héritage grec. Mais l'idée d'une Europe fermée aux influences extérieures ne se justifie pas davantage que celle d'une Chine ouverte, mais elle-même dépourvue de rayonnement.
En contact avec les civilisations iranienne,[...]
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Écrit par
- Jean-Claude MARTZLOFF : directeur de recherche au C.N.R.S. (centre de recherche sur la civilisation chinoise)
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