CHIRALITÉ, chimie
Un objet est chiral s'il n'est pas superposable à son image dans un miroir, ou image spéculaire. Nos mains appartiennent à cette classe des objets chiraux, d'où leur nom, dérivé du grec kheir, « main ». Nos mains, gauche et droite, sont l'image spéculaire l'une de l'autre. De la même manière, les autres objets chiraux suivent la même dichotomie et sont soit de type gauche, soit de type droit. En chimie, on parle de paires d'énantiomères.
Louis Pasteur (1822-1895) fut, vers 1848, le premier à conclure de l'étude des biomolécules que la chiralité est une propriété à la fois constitutive et caractéristique du vivant, à l'échelle moléculaire. Un sucre, un acide organique, un acide aminé en particulier sont des objets chiraux. Ils existent dans l'organisme sous l'une ou l'autre des deux formes, gauche ou droite, et ce de façon exclusive.
Ce fut là une étape majeure dans l'histoire de la pensée scientifique. Son importance dépasse celle de la synthèse de l'urée, molécule produite par les organismes animaux, par le chimiste allemand Friedrich Wöhler (1800-1882) en 1828. L'intuition pastorienne ramenait la biologie à un molécularisme. Rapportée à la chimie, elle avait valeur de programme et portait en germe la biologie moléculaire, qui devait éclore trois quarts de siècle plus tard.
Les vingt acides aminés naturels appartiennent tous au type gauche. Les sucres naturels, comme le glucose ou le fructose, appartiennent au type droit. D'où viennent ces préférences, parfaitement tranchées ? Nul ne le sait. C'est l'une des grandes questions scientifiques non encore résolues.
Les protéines, qui sont des enchaînements d'acides aminés, sont par conséquent elles aussi chirales. Or les récepteurs biologiques, assurant des fonctions aussi diverses que l'odorat, l'analgésie ou la catalyse enzymatique, sont faits de molécules de protéines. Ils sont donc eux aussi chiraux. Ce qui implique à son tour la chiralité des autres molécules qui viennent s'y nicher, à commencer par les hormones et les médicaments. Il importe que la bonne molécule soit choisie. L'image consacrée est celle de la main gauche à l'aise dans un gant gauche, bien mieux que dans un gant droit.
Les actions biologiques se différencient donc par l'appartenance des molécules responsables à l'une ou l'autre des deux séries chirales. L'un des énantiomères de la carvone, principe actif du carvi, a l'odeur du cumin, tandis que l'autre a une odeur de menthe. L'un des énantiomères d'un médicament interdit de commercialisation depuis le début des années 1960, la thalidomide, empêche les nausées chez la femme enceinte, mais l'autre induit des malformations fœtales, le bébé n'ayant plus que des moignons de bras. Il n'est pas rare de détecter une contrefaçon par la présence inattendue d'un énantiomère non naturel. Ainsi, la détection dans du jus d'orange de l'acide D-malique est le signe d'une fraude, le jus naturel ne comportant que son énantiomère, l'acide L-malique.
La fortune de la notion de chiralité, son emprise durable sur la chimie organique, lui vinrent de l'existence d'un puissant test opératoire, dès son introduction dans les années 1850-1860. Au temps de Pasteur, les chimistes étaient dépourvus de bons moyens d'investigation de la structure des molécules, tels que la diffraction des rayons X par les cristaux. Ils disposaient néanmoins d'un détecteur de chiralité : la rotation du plan de la lumière polarisée. En effet, alors que la lumière vibre normalement dans toutes les directions perpendiculaires à son trajet, un polariseur permet de sélectionner une seule de ces directions, entre 0 et 3600. Or, placée en solution – par exemple, du glucose dissous dans l'eau –,[...]
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Écrit par
- Pierre LASZLO : professeur honoraire à l'École polytechnique et à l'université de Liège (Belgique)
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