CHÔMAGE Le chômeur dans la société
Les effets sociaux du chômage
Les diverses expériences vécues des chômeurs se traduisent, pour la majorité d'entre eux, par une condition anomique plutôt que par la révolte violente ou la radicalisation politique. Alors que le taux de chômage reste supérieur à 8 p. 100 de la population active, les chômeurs ne constituent pas un groupe social animé d'une volonté collective et susceptible de mener des actions politiques violentes (C. Durand). La diversité objective des chômeurs ne favorise évidemment pas l'élaboration d'une identité commune. Mais l'enquête réalisée par P. Lazarsfeld à Marienthal, au début des années 1930, dans une petite ville autrichienne où la seule usine avait dû fermer ses portes, montre qu'une population homogène ne développe pas non plus une cohésion de groupe. Une identité négative est peu susceptible de fonder une conscience et une action communes (J. Mouël, O. Gallant, M.-V. Louis, in Sociologie du travail, Demazière et Pignoni). C'est sans doute la raison fondamentale pour laquelle l'action proprement politique des organisations de chômeurs en France n'a jamais concerné qu'une très faible minorité d'entre eux. En outre, les plus actifs, ou les plus favorisés, consacrent toute leur énergie à échapper réellement et symboliquement à la condition de chômeurs, non à l'assumer ou à la revendiquer. Les chômeurs appartiennent à une même catégorie administrative, ils ne forment pas un véritable groupe social, doté d'une volonté collective susceptible de s'exprimer dans l'ordre politique.
La situation anomique explique aussi que, si certains chômeurs, militants actifs lorsqu'ils avaient un emploi, gardent leur activité de syndicalistes, le statut de chômeur empêche le plus souvent de compenser l'inactivité professionnelle par d'autres occupations. Le chômeur qui n'a jamais milité dans un syndicat ou dans un parti politique n'utilise pas le temps du chômage pour commencer une période d'activité militante, que lui interdit son sentiment d'être humilié et marginalisé. Le militantisme syndical et même partisan peut être considéré comme une des composantes de l'activité professionnelle, une des formes que prend l'insertion sociale au même titre que le travail lui-même. Or le chômage affaiblit la conscience collective liée à l'emploi et la participation sociale liée à ce même emploi.
Les effets du chômage sur les résultats électoraux peuvent être directs (le vote des chômeurs) ou bien indirects (le vote des non-chômeurs en fonction de l'existence du chômage). Existe-t-il un effet direct du chômage sur le comportement électoral, autrement dit les électeurs modifient-ils leur vote à cause de leur expérience du chômage ? Et, si c'était le cas, quel serait le sens de cette modification ? Peut-on par ailleurs penser que l'idée du chômage, en d'autres termes, le chômage des autres, la connaissance du taux de chômage ou, plus concrètement, la fréquentation de familiers, d'amis et de voisins chômeurs conduit nombre d'électeurs à modifier leurs choix électoraux ? Et, si c'était le cas, quel en serait le sens : un vote plus à gauche, plus à droite, contre le gouvernement en place, pour le gouvernement supposé plus compétent ?
Nous ne disposons que de données partielles sur l'effet direct du chômage. Si l'on accepte les analyses d'Alain Lancelot démontrant le lien entre l'abstention et le degré d'intégration sociale, on peut faire l'hypothèse d'une abstention plus forte parmi les chômeurs qui connaissent le chômage « total » ou le chômage « inversé », c'est-à-dire la très grande majorité d'entre eux. On peut penser d'autre part que les cadres chômeurs, consacrant toute leur énergie à ne pas adopter les comportements de chômeurs, ne modifient pas leurs votes[...]
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Écrit par
- Dominique SCHNAPPER : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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