CHÔMAGE Sociologie du chômage
Un statut ambigu et fragile
Dans une société où l'occupation d'un emploi rémunéré est une norme, toute privation d'emploi entraîne, quelle qu'en soit la forme, une diminution des revenus. Certes la reconnaissance d'un statut spécifique est soutenue par des systèmes d'indemnisation. Mais les allocations distribuées sont plus faibles que les salaires de référence, limitées dans le temps, parfois dégressives et conditionnées à des durées de cotisation, de sorte qu'elles ne protègent jamais d'une baisse sensible du niveau de vie. La perte de revenu est un trait saillant du chômage, d'autant plus accusé que l'indemnisation s'est dégradée à mesure que le nombre des chômeurs augmentait. Ainsi, depuis le milieu des années 1980, la part des chômeurs indemnisés par le système d'assurance-chômage n'a jamais été supérieure à 53 p. 100 et a la plupart du temps oscillé autour de 45 p. 100. La mise en place du revenu minimum d'insertion (R.M.I.), devenu le revenu de solidarité active (R.S.A.) en 2008, témoigne d'ailleurs des trous de la couverture indemnitaire des chômeurs.
Cette fragilité est plus évidente encore si l'on considère une caractéristique marquante et fondamentale du chômage : l'incertitude face à l'avenir. Le chômage est considéré comme une situation temporaire qui ne doit pas se prolonger. En ce sens, être au chômage, c'est ipso facto être tourné vers la sortie et être sommé de quitter cette situation. Devenir chômeur c'est vouloir échapper au chômage et c'est devoir y échapper. S'inventer un avenir, se projeter dans une autre situation et obtenir un emploi sont des ressources individuelles pour échapper à l'anxiété et à l'angoisse qui menacent les chômeurs. Mais ce sont aussi des normes sociales qui imposent un programme d'action : celui de rechercher un emploi.
Un statut ambigu est donc assigné aux chômeurs, parce qu'ils sont considérés à la fois comme des victimes qui doivent être aidées et secourues et comme des coupables qui doivent être contrôlés et punis. Leur place oscille entre deux figures travaillant la conscience collective : celle du bon chômeur qui se mobilise pour s'en sortir, qui montre sa souffrance tout en cherchant à la surmonter, qui gagne ainsi le droit à l'estime, qui est méritant ; celle du faux chômeur, qui rechigne à prendre certains emplois, qui vit des transferts sociaux, qui attire ainsi mépris et suspicion, qui est coupable. La permanence historique de cette tension indique que le chômage n'est pas un statut social au même titre que l'emploi ou l'inactivité : il est profondément ambigu et conflictuel. C'est pourquoi il est si important d'en comprendre les significations pour les chômeurs eux-mêmes.
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Écrit par
- Didier DEMAZIÈRE : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur du laboratoire Printemps (C.N.R.S. et université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines)
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