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CHÔMAGE Sociologie du chômage

Une expérience négative et éclatée

Dès les années 1930, le chômage est analysé comme une crise de statut et d'identité, générant honte et culpabilité, conduisant au repli sur soi, déconnectant des rythmes collectifs, déstabilisant les rôles familiaux, compromettant les relations avec autrui, alimentant le sentiment d'être à part. Il est, de manière typique, une épreuve négative, qui prive de valeur, de dignité, de place. Une épreuve qui tend d'autant plus à fonctionner comme un cercle vicieux qu'elle est intériorisée par les chômeurs eux-mêmes. Ce processus d'infériorité sociale est aggravé par la répétition des échecs dans la recherche d'emploi, accentué par l'allongement des temps passés en chômage, renforcé par l'accumulation de difficultés à en sortir.

Toutefois, les enquêtes compréhensives montrent invariablement une diversité des manières de vivre le chômage et une variété des interprétations de cette condition. Quand certains chômeurs intériorisent leur condition et sont comme écrasés par un destin qui les conduit à la déréliction, d'autres la réinterprètent activement et parviennent à en aménager le sens. Les possibilités d'interprétation de cette expérience sont nombreuses. Elles s'inscrivent entre deux formes polaires de résistance : l'une s'appuie sur un engagement actif dans la recherche d'un emploi et toutes sortes d'activités supposées accroître les atouts pour en obtenir un ; l'autre s'alimente à un investissement dans des occupations alternatives, sources de plaisir et de réalisation de soi et signes de mise à distance de la recherche d'emploi. Ces différentes réactions dépendent de ressources, financières, culturelles, relationnelles, sociales, symboliques, dont les chômeurs disposent... en quantité variable selon leur parcours antérieur, leur expérience professionnelle, leur niveau de formation.

Mais l'expérience du chômage est aussi construite au cours de rencontres avec autrui, notamment les professionnels de l'emploi (recruteurs, spécialistes de l'orientation, formateurs, conseillers en insertion). En effet, l'objet de ces rencontres est de diagnostiquer les difficultés et les atouts individuels, d'estimer les chances d'obtenir un emploi, et, le cas échéant, de proposer des réponses adaptées, individualisées. Or les actions qui y sont prescrites sont d'autant plus éloignées de l'accès à un emploi de droit commun que le chômeur est jugé distant de l'emploi. En ce sens, c'est surtout pour les chômeurs jugés les moins employables que ces entretiens aux guichets des institutions façonnent le sens du chômage, car des perspectives alternatives à l'accès à l'emploi sont alors évoquées. Même si l'emploi demeure un horizon légitime et une issue valorisée, des aménagements sont discutés et anticipés, faute de mieux, et d'abord pour échapper au vide du chômage et inventer, malgré tout, un avenir : repli sur la sphère domestique, anticipation de la retraite, investissement dans des activités occupationnelles, revendication de problèmes de santé, participation aux programmes publics de formation, etc. Aussi les chômeurs le plus durement confrontés à l'incertitude face à l'avenir s'éloignent-ils progressivement de la figure centrale du chômeur fortement investi dans la recherche d'emploi et anticipant la réussite de cette dernière. Le sens subjectif du terme chômeur peut alors perdre de sa pertinence, et certains se définissent comme « plus ou moins », « pas tout à fait », « pas exactement », « plus vraiment », « un peu », « pas complètement », « dans un certain sens »... chômeur.

Les recherches sociologiques explorent les conséquences de ce qui est maintenant généralement admis : le chômage[...]

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  • : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur du laboratoire Printemps (C.N.R.S. et université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines)

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