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CHOSE

Terme de la langue ordinaire dont la référence, une fois exclus les êtres animés, est purement contextuelle : telle « chose difficile », c'est ce sur quoi porte mon action tandis que je parle ; « la chose en question », c'est ce dont nous nous entretenons sans lui donner son nom usité ; « dites quelque chose » signifie « dites n'importe quoi pourvu seulement que ce soit pertinent dans la situation présente » ; de même, « il faut faire quelque chose ». Linguistiquement, le mot « chose » a le statut d'une quasi-variable de la langue ordinaire dont le domaine de substitution est défini pour chaque occurrence de manière contextuelle, implicite et pragmatique. Il existe de nombreux équivalents fonctionnels plus ou moins familiers : « truc », « bidule », « machin », entre autres.

Lorsque le mot « chose » a un sens propre, on doit distinguer :

– Chose et fait, chose et événement, la chose étant une réalité permanente statique, substantielle. Le titre d'un film tel que Les Choses de la vie connote le compte rendu d'événements survenant justement comme des réalités toutes familières et présentes à la manière des choses ; c'est une métaphore neuve qui transgresse de manière significative l'habituelle distinction de deux domaines.

– Chose et phénomène, distinction avec laquelle on passe de la langue commune à la langue scientifique ou philosophique ; c'est le réalisme naïf qui croit qu'il y a des choses, c'est-à-dire des réalités tangibles perçues telles qu'elles sont.

– Chose et objet, celui-ci étant le corrélat soit d'un sujet épistémologique qui le constitue à la manière kantienne, soit d'un sujet producteur qui le fabrique ; la chose est indépendante, dans son être, du sujet.

– Chose et réalité, celle-ci s'opposant implicitement au rêve, à l'idéal, à l'illusion. La chose est, si l'on peut dire, tranquille en elle-même et ne s'oppose à rien. On peut noter que Hegel est le premier à donner (au début de la Phénoménologie de l'esprit) un statut philosophique à la « choséité », simple support statique de propriétés juxtaposées par un « aussi ». La chose possède une sorte d'universalité indifférente et passive ; elle est un passage du « ceci » à la force.

À un même niveau du vécu, on oppose choses et bêtes ou gens comme autant de manières d'être, de situations ontologiques. En art, la peinture des « choses » donne lieu à ce qu'on a appelé un temps « vies coites », c'est-à-dire muettes, puis natures mortes. « Chose » peut avoir alors un sens laudatif : le poète Rilke a célébré l'intimité sereine et apaisante des choses (ainsi dans les Sonnets à Orphée, II, xiv : « Celui qui les emporterait dans l'intimité du sommeil et dormirait/profondément avec les choses — oh ! comme il reviendrait léger/différent en face du jour différent, de la commune profondeur »).

Les choses ont une présence à la fois indépendante et apprivoisée ; leur aspect substantiel et élémentaire suscite des rêveries poétiques et philosophantes que décrit Gaston Bachelard dans La Flamme d'une chandelle.

Une distinction juridique fondamentale est opérée par Justinien entre les choses (qui peuvent être échangées, léguées, possédées, détruites, et ne sont pas sujets de droit) et les actions ou les personnes. Cette distinction reçoit en philosophie une portée éthique. Pour Kant, si les choses peuvent être employées comme moyens, les personnes doivent toujours en même temps être traitées comme des fins. « Chose » acquiert un sens péjoratif. Traiter autrui comme une chose, c'est lui faire injure. Pour Sartre, le regard qui se pose sur moi comme il se pose sur les choses me « chosifie », m'aliène et me dénature. Le fétichisme dont Marx[...]

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Écrit par

  • : agrégée de l'Université, docteur en philosophie, maître de conférences à l'université de Rennes

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