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MARKER CHRIS (1921-2012)

En soixante ans d'activité, Chris Marker (de son vrai nom Christian Bouche-Villeneuve, né le 29 juillet 1921 à Neuilly-sur-Seine, et non à Oulan-Bator, comme il l'a laissé croire par facétie), a laissé en des domaines variés (articles, traductions, livres, photographies, films, installations, CD-ROM) de quoi déborder le plus maniaque des archivistes. Là où il a acquis la notoriété, hors des sentiers battus de la fiction, il est ardu de le suivre à la trace. Car il a été tour à tour auteur complet, commentateur (son style étincelant lui a valu d'être sollicité par des cinéastes maîtres de l'image, mais en panne de commentaire), monteur, animateur de réalisations collectives, producteur, distributeur de films étrangers en délicatesse avec des gouvernements autoritaires.

Un maître de l'essai cinématographique

En 1949, son premier et unique roman, Le Cœur net, reçut un accueil discret de la critique et du public. L'auteur n'était pourtant pas tout à fait un inconnu, au moins des lecteurs d'Esprit, qui publiait sous la même signature, depuis 1946, des chroniques insolites, impertinentes, d'un style incisif et d'un humour froid.

Son territoire de prédilection, où il est sans rival en France, est celui qu'on appelle trivialement le « documentaire », une étiquette consacrée par l'usage. Contrairement à une opinion courante, le documentaire n'est pas une forme cinématographique figée : comme le film romanesque, il a ses genres. Marker, à travers la diversité de son œuvre, excelle dans cette forme spécifique dite « essai cinématographique », où son style personnel fait merveille, surtout quand la technique (les caméras DV) permet enfin de concrétiser le vieux rêve de la « caméra-stylo ».

Chris Marker cinéaste se signale en 1950 avec un film, coréalisé avec Alain Resnais, et longtemps retenu par la censure, Les statues meurent aussi. De 1952 à 1962, il parcourt le monde, promenant à la fois en dilettante, en militant et en « amoureux de cartes et d'estampes » son insatiable soif de culture. Dans Dimanche à Pékin (1956), il vagabonde « dans une image d'enfance » qui le fascina jadis dans Le Tour du monde du comte de Beauvoir – un livre qui fait partie, comme il le reconnaîtra plus tard dans Immemory (1996), de ce premier bagage qui accompagne toute une vie. Il cite beaucoup, en passant, sans s'attarder. Dans Lettre de Sibérie(1957), il révèle discrètement les lectures qui l'ont marqué : Henri Michaux, Jules Verne, Blaise Cendrars, Jean Giraudoux, auquel il a consacré un essai en 1951. Son commentaire brillant et innovant attire l'attention d'André Bazin, qui consacre des pages pénétrantes à cette nouvelle forme de « montage latéral », association subtile du mot et de l'image. On le retrouve, indulgent mais critique, dans ces pays neufs où on ne peut savoir encore si l'avenir tiendra les promesses du présent : l'Israël des pionniers (Description d'un combat, 1960), Cuba après l'agression américaine (Cuba si !, 1961), la Corée du Nord après la guerre (avec un album de photographies en parallèle avec un texte qui suffirait à le consacrer comme un grand écrivain : Coréennes, 1959). Marker n'aime pas parler de cette période, et l'exclut des rétrospectives. Pourtant, son œuvre est déjà là en germe.

En 1962, Chris Marker, de retour à Paris, expérimente les nouvelles techniques du cinéma direct, comme il le fera avec les nombreuses innovations techniques de la seconde moitié du xxe siècle. Joli Mai (1963) est un portrait subtil de Paris tourné en 1962, l'année de la fin de la guerre d'Algérie. Ce portrait au présent suggère cependant la vision d'un avenir incertain : les « barbares » (les nouvelles cités) assiègent le Paris familier, tandis que les visages isolés dans la foule reflètent une angoisse[...]

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Écrit par

  • : écrivain et critique de cinéma, ancien chargé de cours à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot, docteur de troisième cycle, université de Paris-VII-Denis-Diderot

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