BOBIN CHRISTIAN (1951-2022)
Christian Bobin est un écrivain et poète aussi singulier que lumineux. Traduite en plus de quarante langues, son œuvre, qui compte une soixantaine de livres et qui a reçu le prix de l'Académie française en 2016, excède toutes les conventions. Elle se situe aux lisières du récit et du fragment, de la lettre et du poème, de l'essai autobiographique et de la légende biographique. Contre le désenchantement postmoderne, sa méditation poétique, d’inspiration chrétienne, procède d’un dévoilement : l'univers émerveillé, que découvre sa grande écriture ourlée de noir, est celui-là même que nous croyons voir, mais délivré des idoles que nous nous sommes créées.
« Cet amour qui manque à tout amour »
Christian Bobin naît au Creusot (Saône-et-Loire), le 24 avril 1951, entre le gros cœur battant d'un marteau-pilon et l'appel des sirènes des usines Schneider où ses ascendants et parents furent employés. Il est le petit dernier d'une famille catholique, sinistrée lors des bombardements des 19 et 20 juin 1943, et réinstallée par l'État dans une maisonnette de « réfugiés ». Dans les pages autobiographiques de Prisonnier au berceau (2005), Christian Bobin rassemble des fragments de son enfance solitaire, passée entre des parents aimants, un grand-père acariâtre et une aïeule internée à l'hôpital de Dijon, qui sera sa « marraine de guerre » invisible. De nature éruptive et agoraphobe, l'enfant n’aime pas l’école. Contre la violence du monde, sa chambre, la lecture et le petit jardin clos où il contemple la neige et le ciel bleu constituent son seul refuge. Il se rêve alors en poète sauveur, à l'image de Hans Brinker, le jeune héros des Patins d’argent (de Mary Mapes Dodge), qui sauve son village des eaux. Son père, qui enseigne le dessin industriel au centre de formation des usines Schneider, est l'une des figures tutélaires, toute de rigueur, clarté et bonté, que son œuvre honore.
Son adolescence creusotine le place au premier rang de la crise industrielle et des drames du chômage. Après un baccalauréat littéraire en 1969, l'étudiant, toujours à l'écart, lecteur de Pascal, Spinoza, Kierkegaard et Nietzsche, obtient une licence de philosophie à l’université de Dijon. Son ami Laurent Debut édite chez Brandes son premier ouvrage (Lettre pourpre, 1977). Après un service militaire qui tourne mal, le jeune homme précaire sera tour à tour aide-infirmier psychiatrique à Besançon, employé à la bibliothèque d'Autun, rédacteur pour la revue de l'écomusée au Creusot. De son HLM avec vue sur le paysage usinier, il écrit des lettres (Lettres d’or, 1987) à Bruno Roy, l'éditeur de Fata Morgana, qui publie ses premiers essais sur la Souveraineté du vide (1985), Antonin Artaud (L’Homme du désastre, 1986) et, plus tard, un fondamental Éloge du rien (1990).
À la fin de septembre 1979, Christian Bobin rencontre Ghislaine Marion, une jeune femme du Creusot, mariée et mère de trois enfants. Elle lui inspirera des livres cardinaux. Si La Part manquante (1989) est une méditation prémonitoire sur l’absence et le vide, les variations poétiques ou romanesques d’Une petite robe de fête (1991) et de L'Inespérée (1994) déclinent ses leitmotive : la lecture, l’attente, l’esprit d’enfance et l’amour comme principe de vie (« Il n’y a pas de connaissance en dehors de l’amour »). C’est le temps de L’Enchantement simple (1986), la célébration de l’enfance dont Hélène, la fille de son inspiratrice, est l’ange porteur. À l'opposé des modes, Christian Bobin chante, dans L'Éloignement du monde (1993),une vie de dénuement, de silence et de contemplation, « radieuse de n'être rien », riche de l'empathie chrétienne d'un saint François d’Assise. La méditation biographique qu’il lui consacre (Le Très-Bas[...]
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Écrit par
- Yves LECLAIR : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain
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Média
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