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MORGENSTERN CHRISTIAN (1871-1914)

« Je me suis toujours ressenti comme double », note Christian Morgenstern dans un carnet. De fait, deux natures en apparence contradictoires coexistent en lui : celle du « chercheur de Dieu » et celle de l'humoriste. Mais dans l'esprit du public, le second a effacé le premier. C'est aux grotesques Galgenlieder (Chants du gibet) que l'écrivain doit sa renommée littéraire.

Né à Munich le 6 mai 1871, Christian Morgenstern est le descendant d'une famille de peintres réputés. La mère du jeune Christian meurt très tôt de la tuberculose (1881). Le poète, à qui elle a légué son mal, est obligé, en 1893, d'interrompre ses études de droit. À peine remis, il s'installe à Berlin. La bohème berlinoise est le berceau des premiers Galgenlieder. Berlin, où Morgenstern deviendra lecteur dans la maison d'édition Cassirer, en 1903, constitue avec Merano l'un des rares points fixes de son existence vagabonde. Le dernier voyage, de cliniques en sanatoriums, se termine à Merano, où le poète meurt le 31 mars 1914.

La création lyrique entre 1895 et 1905 est inégale. On y trouve, surtout au début (Au château de Phanta, 1895), une poésie d'inspiration philosophique écrite dans un style pathétique où se lit l'influence de Nietzsche. Mais au sanatorium de Birkenwerder se produit, en novembre 1905, un événement spirituel d'une portée considérable. Dans une sorte d'illumination mystique, Morgenstern découvre la parfaite coïncidence de Dieu et de l'homme, de Dieu et du monde. Dès lors, il peut interpréter la parole du Christ « Moi et le père, nous sommes un » (Évangile selon saint Jean, x, 30) comme la simple confirmation du système « théomoniste » qu'il élabore en 1906-1907 : Dieu se pense en nous, dans notre propre cerveau. Il se dit « Dieu » à lui-même par notre propre bouche. Cette « énorme idée » fournit la matière des aphorismes que la veuve du poète publiera en 1918 et donne à la poésie lyrique (Recueillement, 1910) une tonalité originale. Mais en 1909, Morgenstern se convertit aux vues théosophiques de Rudolf Steiner, le fondateur de l'anthroposophie. Le recueil Nous trouvâmes un chemin (1914) reflète ce dernier avatar spirituel du poète. L'œuvre est sibylline pour les non-initiés, mais d'une austère beauté.

En dehors d'Horatius travestitus (1897), l'œuvre humoristique de Morgenstern comprend les Galgenlieder, Palmström et un certain nombre de poésies posthumes. Les Galgenlieder — nom donné à l'ensemble de cette production — sont nés d'une farce. Lors d'une excursion, Morgenstern et ses amis découvrent en 1895, près de Potsdam, une colline où se dressait jadis un gibet. De retour à Berlin, ils fondent la « Compagnie du gibet ». Les Galgenlieder sont donc à l'origine des chants pseudo-liturgiques qui accompagnent les cérémonies burlesques et macabres que célèbrent les compagnons. De leur naissance, ils garderont jusqu'au bout l'empreinte ludique. En revanche, le grotesque qui règne dans les premiers poèmes s'atténue. À partir de 1905, il n'est plus guère qu'« vêtement » dans lequel le poète loge une réflexion philosophique : la poésie du gibet s'inscrit dans la marge de la méditation du mystique et subit une dernière mutation lorsque Morgenstern adhère à l'anthroposophie. De Rudolf Steiner, les deux héros de Palmström (1910) tiennent probablement leur nature immatérielle. Ce sont de purs esprits, doués d'une imagination débordante, mais dont les inventions n'existent que par la grâce des mots. D'instinct, l'humoriste exploite ce que sa réflexion sur le langage, stimulée par les théories de Fritz Mauthner, lui révèle par ailleurs : l'aptitude que possèdent les mots à dire l'irréel ou le virtuel. Les insolites créatures qui peuplent l'univers du gibet sont nées de cette[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences sociales de Brest

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