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CHRISTIANISATION

Déchristianisation, sécularisation, exculturation

Ces interrogations parcourent également le champ de la déchristianisation. Le mot est plus récent et polémique : le verbe déchristianiser est attesté en français à la fin du xviiie siècle, mais ne fait son apparition dans le débat public que dans les années 1850, et le terme déchristianisation (1876) se définit à l'origine comme un processus actif, volontaire, issu du lexique révolutionnaire (défanatiser, déprêtriser). Michel Vovelle (Religion et Révolution, la déchristianisation de l'An II, 1976) a imposé l'expression « déchristianisation révolutionnaire » pour décrire la politique de rupture conduite de l'automne de 1793 au printemps de 1795. Il parle de « déchristianisation négative » – avec la fermeture des lieux de culte, la destruction des reliques, l'abdication volontaire ou contrainte des ministres du culte, la déportation ou l'exécution de prêtres catholiques –, et de « déchristianisation positive » à travers l'introduction d'un nouveau calendrier entièrement laïcisé, l'instauration de nouveaux cultes (culte de la Raison, puis de l'Être suprême en l'an II).

À l'aube du xxe siècle, des sociologues regroupés autour d'Émile Durkheim s'emparent des phénomènes religieux, et le terme évolue vers une seconde acception. Le concept de déchristianisation mesure et analyse les processus de détachement religieux qui éloignent les fidèles des Églises chrétiennes d'une pratique régulière de leurs sacrements et d'une observation effective de leurs commandements. Le livre des abbés Henri Godin et Yvan Daniel La France, pays de Mission ? (1943) constitue, en France, l'apogée de cette prise de conscience, à la fois constat de défaite et exigence de renouvellement. L'école sociologique connaît un renouveau avec l'intervention d'un juriste, Gabriel Le Bras, et d'un ecclésiastique, Fernand Boulard, qui font de la déchristianisation la catégorie essentielle d'une discipline, la « sociologie religieuse ». Soucieux de nourrir le débat de chiffres, ils initient à partir de 1931 un programme de relevé systématique de données quantitatives sur la pratique religieuse des catholiques français (ils mesurent et cartographient l'assistance à la messe dominicale, la communion pascale, les baptêmes, mariages et sépultures civils, l'ampleur des pratiques contraceptives, etc.). En 1947, dans un climat d'inquiétude d'ordre pastoral face à la sécularisation croissante de la société française, le chanoine Boulard publie une Carte religieuse de la France rurale qu'il ne cessera de préciser et d'affiner. Celle-ci met en évidence une très forte disparité de la pratique religieuse dans les campagnes françaises, selon une distribution périphérique. La publication des Matériaux Boulard (Matériaux pour l'histoire religieuse du peuple français, XIXe-XXe s.), entreprise en 1982, contribue à faire de cette carte un formidable instrument d'investigation et de questionnement historique et sociologique.

La sociologie contemporaine des religions et des croyances a abandonné, dès les années 1960, le concept de déchristianisation pour s'intéresser à l'individuation des conduites religieuses ou à l'exculturation du catholicisme français, c'est-à-dire sa sortie hors de la culture commune (Danièle Hervieu-Léger, Catholicisme français : la fin d'un monde, 2003). Les historiens, pour leur part, se sont efforcés de saisir, dans une démarche rétrospective et en fonction des sources disponibles, les étapes, les modalités et les causes de cette déchristianisation. En 1985, Timothy Tackett (La Révolution, l'Église et la France) a dressé la carte du serment imposé en 1791 lors de la mise en place de la constitution civile[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Paris-XII-Val de Marne

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