CHRISTIANISME
Le christianisme en question
En près de deux millénaires d'existence, le christianisme a été secoué par de nombreuses crises, des ruptures internes, au point qu'on a annoncé plusieurs fois son dépérissement. Sa situation présente apparaît, à cet égard, d'une gravité sans précédent, quasi révolutionnaire. Pour les chrétiens cette gravité n'est point dramatique, car leur espérance s'appuie sur l'origine divine de leur mouvement et de leur communauté. Ils vivent de la conviction que, si les civilisations sont mortelles, l'entreprise de Jésus-Christ, elle, traversera les siècles jusqu'à la fin de l'histoire pour déboucher, à travers une ultime mutation dont Dieu aura l'initiative, vers son avenir absolu. L'observateur non croyant ne partage pas cette assurance, mais il demeure réservé, se souvenant de la capacité de renouvellement qu'à plusieurs reprises le christianisme a manifestée dans l'histoire. L'avenir historique du christianisme se présente donc comme une affaire à suivre. Nous essayerons d'en explorer quelques données.
Le christianisme dans une culture sécularisée
Jusqu'à une époque récente, le christianisme a bénéficié d'une culture d'imprégnation religieuse qui le rendait culturellement possible et parlant. Depuis la renaissance du xvie siècle, de façon d'abord limitée mais à présent flagrante, la culture développe une critique, qui devient radicale, de la religion. À la suite des révolutions scientifiques, techniques, sociales, politiques, une attitude de soupçon habite l'homme moderne à l'égard du fait religieux. Les questions ouvertes par Galilée, Descartes, les encyclopédistes, Marx, Nietzsche, Freud se sont largement répercutées. Il en résulte un déplacement du problème de Dieu, un recul du sacré, une autonomie de l'humanisme qui débouchent volontiers dans l'athéisme. Ce dernier, même lorsqu'il n'est pas porté par une idéologie politique comme le communisme actuel, semble avoir du répondant dans l'avenir culturel. Même lorsqu'il hésite à devenir athée, l'homme de la culture moderne se sent mal à l'aise vis-à-vis d'une religion d'extériorité qu'il accuse d'aliénation intellectuelle, psychologique, éthique ou socio-politique ; il est tenté par l'hypothèse d'une sécularisation dans tous ces domaines où régnait jadis la religion.
Un défi gigantesque se prépare donc, adressé à toutes les religions et, pour sa part, au christianisme. Comment ce dernier y fera-t-il face ? Un certain nombre d'indices manifestent que le défi est reconnu assez largement parmi les chrétiens. Les réactions sont diverses : depuis la réaction de peur, qui conduit à développer les structures et attitudes de défense, jusqu'à la tentation de mutation radicale du fait chrétien, en passant par les tentatives de renouveau en profondeur. Les artisans de ce renouveau estiment qu'un retour à l'originalité du christianisme, accompagné d'une réinvention du langage évangélique pour aujourd'hui, fourniront des modèles chrétiens qui parleront à l'homme de la nouvelle culture. Il faudra en passer par une critique de l'héritage sociologique du christianisme d'hier, de ses expressions et de ses modes, dans tous les domaines. Mais cette réinterprétation déboucherait sur un christianisme plus pur, rajeuni, quoiqu'il soit moins « religieux ».
Cette entreprise de renouveau apparaît intéressante et vraisemblable. Il faudra cependant, à moins qu'il ne s'agisse de créer un autre christianisme que celui de la tradition issue de Jésus, faire attention à ce que la réalité chrétienne ne soit pas réduite aux acceptations éventuelles de la nouvelle culture. Le risque a existé plusieurs fois – qu'on se souvienne de Hegel ou de Lamennais, au [...]
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Écrit par
- Pierre LIÉGÉ : professeur aux Facultés dominicaines du Saulchoir et à l'Institut catholique de Paris
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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