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FERSEN CHRISTINE (1944-2008)

Elle avait la voix rauque, le regard d'une intensité brûlante. Impériale, bouleversante, elle fut l'interprète tragique de Médée, Marie Tudor, Marie Stuart, Lucrèce Borgia... Mais elle pouvait se révéler aussi une délicieuse veuve mégère dans Il Campiello de Goldoni, mis en scène par Jacques Lassalle en 2006, ou un royal Jean de la Fontaine dans les Fables revisitées par Robert Wilson deux ans plus tôt. Doyenne de la Comédie-Française où elle avait effectué tout son parcours, Christine Fersen, la comédienne qui ne pouvait « respirer qu'aux extrêmes », ainsi qu'elle se définissait elle-même, s'est éteinte le 26 mai 2008, à l'âge de soixante-quatre ans.

De son vrai nom Christiane Boulesteix (Fersen étant celui de sa mère), Christine Fersen a vu le jour dans la banlieue parisienne, à Suresnes, le 5 mars 1944. Aînée de quatre enfants, elle grandit dans les H.L.M. de Nanterre. Son père est un modeste employé, sa mère fait des ménages. Élève brillante, persuadée que la seule issue est la connaissance et la culture, elle passe son baccalauréat avant de s'inscrire en droit, à l'université. Mais elle rêve déjà de théâtre. À dix-neuf ans, elle tente le concours d'entrée du Conservatoire national supérieur d'art dramatique, à Paris. Elle est reçue et entre dans la classe de Fernand Ledoux. Deux ans plus tard, elle décroche les premiers prix de comédie classique et moderne et le second en tragédie. Un chroniqueur la décrit : « Une silhouette de mannequin hautain et dans la voix presque cassante, une étrangeté, une espèce de fièvre folle dans l'impassibilité sculpturale qui pourrait rappeler parfois le mystère Garbo ». Sans attendre qu'elle achève ses études au Conservatoire, Maurice Escande, administrateur de la Comédie-Française, l'engage aussitôt. Coup sur coup, elle est Chimène dans Le Cid de Corneille, l'Infante dans La Reine Morte de Montherlant, Sygne de Coûfontaine dans L'Otage de Claudel... Impressionnés par l'incandescence de son jeu, les plus grands metteurs en scène la réclament. Citons notamment Antoine Vitez dans La Célestine de Rojas en 1989, Piotr Fomenko dans La Forêt d'Ostrovski en 2004, Georges Lavaudant dans le Balcon de Genet en 1986, Claude Régy dans Huis Clos de Sartre en 1985, Jacques Lassalle dans Elle est là de Nathalie Sarraute, pour l'inauguration de la réouverture du Vieux Colombier en 1993.

Le parcours semble couler de source. Il est plus heurté qu'il n'y paraît. C'est que cette comédienne intransigeante est aussi une femme d'instinct et de passion, puisant au plus profond d'elle-même. Marquée à jamais par une enfance sans joie, elle l'est tout autant par les épreuves qui la touchent, notamment le suicide de son fils, à l'âge de vingt ans. En révolte dès sa jeunesse contre les scandales et les injustices, elle s'élève, avec un franc-parler dont elle ne se départira jamais, contre tout ce qui lui semble injuste vis-à-vis d'elle-même ou de la troupe. Parfois dure, tranchante, emportée, elle peut se montrer imprévisible au point d'indisposer plusieurs de ses camarades (elle n'obtiendra le statut de sociétaire qu'au bout de plus de dix ans), et certains administrateurs du Français : Pierre Dux d'abord, Jean-Pierre Miquel ensuite.

Tenue à l'écart, huit ans durant, des spectacles donnés dans la salle Richelieu, Christine Fersen va se lancer, hors de la « Maison », dans des aventures plus risquées. Après avoir retrouvé Claude Régy pour la création de Chutes, de Gregory Motton, au théâtre Gérard-Philipe, à Saint-Denis, en 1992, elle est présente, en 1997, dans Karl-Marx Théâtre Inédit, créé par Jean-Pierre Vincent au théâtre des Amandiers de Nanterre, ou encore dans Le Visage d'Orphée d'Olivier Py, créé dans la cour d'honneur[...]

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Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

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