CHRISTO ET JEANNE-CLAUDE CHRISTO JAVACHEFF (1935-2020) et JEANNE-CLAUDE DENAT DE GUILLEBON (1935-2009), dits
Art, patrimoine et politique
Hors des musées et des galeries, l'espace public s'impose rapidement comme le lieu le plus propice à l'expérimentation artistique de Christo. Dès 1962, l'installation d'un empilement de barils bloquant pendant huit heures la rue Visconti, dans le VIe arrondissement de Paris, souligne son insertion dans le tissu culturel d'une capitale marquée par la valeur de son patrimoine artistique. Le titre de l'action, Rideau de fer, renvoie à l'histoire contemporaine, précisément à la vie de l'artiste qui quitta la partie orientale de l'Europe et franchit le « rideau de fer » pour devenir un des représentants de l'art occidental, avant d'acquérir la nationalité américaine en 1964. Après de nombreux projets inaboutis (empaquetage de deux gratte-ciel et du MoMA de New York ; mur flottant de bidons barrant le canal de Suez), le premier édifice public à être empaqueté réellement par Christo est la Kunsthalle de Berne (Suisse) en 1968. Les interventions suivantes révèlent de la part de l'artiste un choix de plus en plus politique. Ainsi l'empaquetage du monument à Victor-Emmanuel, sur la Piazza del Duomo de Milan en 1970, souligne ironiquement la « monumentomanie » désuète d'un pays qui multiplia au xixe siècle les statues en hommage au roi fondateur de son unité, mort en 1878. En 1985, l'empaquetage du Pont-Neuf à Paris révèle des traits constitutifs de la politique royale d'embellissement de la capitale au temps de la monarchie absolue.
Quant à l'intervention sur le Reichstag de Berlin, préparée dès 1971 et réalisée finalement en 1995, elle prend une résonance encore plus forte. L'action de Christo et Jeanne-Claude se situe entre la réunification de l'Allemagne en 1990 et la nouvelle installation du Parlement allemand dans l'édifice, rénové par sir Norman Foster en 1999. Toute l'histoire de ce lieu, depuis son inauguration par Bismarck en 1894 jusqu'à sa division en deux, d'août 1961 à novembre 1989, par le Mur de Berlin qui le traversait, en passant par son incendie le 27 février 1933, se trouve symboliquement assumée et dépassée en même temps grâce à cette « opération de dévoilement par le recouvrement » qui confère au monument « une forme complètement nouvelle ». On devine les luttes politiques autant qu'esthétiques qu'eut à mener Christo pour obtenir l'avis favorable du Bundestag, le 25 février 1995. Au défi technique – contenir, avec plus de 15 kilomètres de cordes, 100 000 mètrescarrés de tissu en polypropylène recouvert d'une fine couche d'aluminium, ou créer en forme d'échafaudage des structures pour protéger les statues et les décorations fragiles – s'ajoutait un défi financier, que Christo releva selon son habitude, par ses propres moyens, en assumant seul l'autonomie économique du projet au moyen de la vente des dessins et des collages préparatoires, ou encore grâce aux droits de reproductions photographiques.
Sans être de l'ordre d'une prise de position partisane, cet engagement dans la cité se comprend surtout comme l'ambition d'inventer un art résolument moderne : « Nous sommes terriblement contemporains, affirmaient les deux artistes en 1995. Nous vivons dans un siècle social, politique, économique et environnemental. Tout art qui est moins social, moins politique et moins environnemental est simplement moins contemporain. »
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Écrit par
- Paul-Louis RINUY : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII
Classification
Médias
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