MARTHALER CHRISTOPH (1951- )
L'un des plus grands metteurs en scène que la France ait découvert en Allemagne au cours des années 1990 est un musicien suisse. Suisse, et Suisse allemand, Christoph Marthaler l'est profondément (il a d'ailleurs consacré plusieurs spectacles à l'interrogation satirique de l'identité de sa petite nation) ; il est né en 1951 à Erlenbach, dans le canton de Zurich. Et s'il a suivi durant deux ans les cours de théâtre de Jacques Lecoq, c'est cependant de la musique qu'il vient avant tout : hautboïste et flûtiste de formation, il commence sa carrière dans le milieu alternatif zurichois. C'est par la musique de scène qu'il entre dans le monde du théâtre. Et ses premiers « spectacles », au début des années 1980, sont des happenings, des performances théâtrales, inspirées par exemple de Schwitters ou Satie. On peut déjà y reconnaître certains des traits distinctifs de ce qui sera par la suite l'esthétique scénique de Marthaler : l'alliance de la musique et du théâtre, la durée et la répétitivité, une structure discontinue sous-tendue cependant par une continuité rythmique et émotive, l'interrogation de la mémoire historique.
C'est au théâtre de Bâle que Marthaler commence, au tournant des années 1980-1990, à monter des spectacles dans un cadre plus traditionnel : tout d'abord des soirées chantées, comme Lorsque le front alpin rougit, tuez, Suisses libres, tuez ! (1989) ou Stägeliuf, Stägeli ab, juhee (1990), revues parodico-ironiques sur la Suisse, mais aussi des mises en scène de textes du répertoire – L'Affaire de la rue de Lourcine, de Labiche (1991), ou un mélancolique Faust. Une tragédie subjective, d'après Pessoa (1992). Tout au long de sa carrière, Marthaler montera désormais aussi bien des textes déjà existants que des spectacles entièrement originaux – textes et spectacles qu'il adapte ou conçoit généralement, depuis le milieu des années 1990, en étroite collaboration avec Stefanie Carp, sa dramaturge.
Au fil des années 1990, et en particulier avec l'énorme succès d'un Murx den Europäer ! Murxihn ! Murxihn ab ! (1993) qui présentait sur la scène de la Volsksbühne de Berlin le chœur désœuvré d'une sorte de pension ou d'entreprise collective de R.D.A., ces mises en scène, créées majoritairement à Bâle, au Schauspielhaus de Hambourg ou à la Volksbühne, lui valent une reconnaissance européenne de plus en plus grande : L'Intrus (d'après Karl Valentin et Maeterlinck, 1994), L'Heure zéro ou L'Art de servir (« Un exercice de pensée pour top-managers », 1995), Casimir et Caroline, de Horváth (1996), Les Trois Sœurs, de Tchekhov (1997), Les Spécialistes, un entraînement mémoriel pour cadres (1999), Les Dix Commandements, de Viviani (2003)... À partir de la fin de la décennie, Marthaler mettra également en scène pour l'opéra (entre autres Katia Kabanova, de Janáček, Les Noces de Figaro, de Mozart ou Wozzeck, d’Alban Berg). En 2000, il prend la direction du Schauspielhaus de Zurich : parmi la petite dizaine de spectacles qu'il y monte, on aura pu voir en France La Nuit des rois (Shakespeare), La Belle Meunière (cycle de lieder de Schubert), Groundings (spectacle autour des licenciements de cadres dans les grandes entreprises, inspiré de la faillite de la Swissair) ou encore, en 2006, La Mort de Danton de Büchner, transposée dans un café des années 1970. Mais nul n'est prophète en son pays, et Marthaler se heurte vite au conservatisme de cette institution. Il démissionne finalement en 2004, pour reprendre une activité de metteur en scène indépendant sillonnant l'Europe (Seemannslieder, 2004 ; Winch only, 2006 ; Maeterlinck, 2007 ; Letzte Tage.EinVorabend, 2013). En 2010, il est artiste associé au festival d’Avignon, où il présente notamment Schutz vor der[...]
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Écrit par
- Christophe TRIAU : professeur en études théâtrales à l'université Paris-Nanterre, unité de recherche HAR - Histoire des arts et des représentations
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