GLUCK CHRISTOPH WILLIBALD VON (1714-1787)
La réforme parisienne (1774-1779)
C'est à Paris que Gluck alla parachever son œuvre réformatrice, profitant à la fois de la déliquescence du répertoire français à l'Académie royale de musique et de la protection de la jeune dauphine, puis reine, Marie-Antoinette. Ce transfert de Vienne à Paris se justifiait d'autant plus que les opéras calzabigiens s'inspiraient étroitement de schémas formels hérités de Lully et de Rameau, et que le public parisien, nourri des textes prémonitoires de Rousseau, de d'Alembert et de Diderot, attendait avidement une musique qui fût à la fois passionnée, spectaculaire et dénuée d'artifice.
Iphigénie en Aulide (1774) trahit un certain embarras devant les contraintes mélodiques engendrées par la langue française, mais on n'y trouve pas moins de gigantesques monologues (pour Agamemnon et pour Clytemnestre) où s'effectue à la perfection cette adéquation tant recherchée entre l'expression musicale et le « cri plaintif de la nature ». Vinrent ensuite deux adaptations des chefs-d'œuvre viennois, Orphée et Eurydice (1774) et Alceste (1776) ; si Orphée perd en cohérence ce qu'il gagne en longueur, l'Alceste française, profondément remaniée par rapport à la version originale, réalise un progrès décisif dans l'ordre de la concision et de l'efficacité dramatique.
Il pourrait paraître curieux que Gluck, salué avec enthousiasme comme le rénovateur du théâtre lyrique français, se soit tourné, pour sa quatrième tragédie lyrique, vers un livret de Quinault déjà mis en musique par Lully presque un siècle plus tôt ; l'archaïsme d'Armide (1777) était cependant plus apparent que réel : dans le contexte européen où se situait Gluck, le passage incessant de l'air au récitatif et la multiplication des « petits airs » étaient autant d'éléments progressistes, tandis que le respect scrupuleux d'un texte sacré du vieux répertoire donnait des gages solides aux gardiens du style national français. C'est dans ce contexte qu'il faudrait évoquer une féroce guerre de pamphlets qui opposa trois années durant un clan pro-français – les gluckistes – et un clan pro-italien rallié autour du compositeur italien Niccolò Piccinni, dont le Roland fut chaleureusement accueilli en janvier 1778 ; mais la théorisation des styles proposée par des écrivains comme Marmontel (le plus ardent piccinniste) ou l'abbé Arnaud (à la tête des gluckistes) ne rend compte que partiellement des enjeux dramatiques et musicaux tels que nous pouvons les percevoir avec le recul de l'histoire.
Iphigénie en Tauride (1779) manifeste chez Gluck une évidente volonté de synthèse, si l'on considère (fait ignoré des spectateurs parisiens) qu'un tiers de la musique en est repris de ses ouvrages antérieurs ; le plus spectaculaire de ces emprunts est l'air « Ô malheureuse Iphigénie », dont le lyrisme gagne encore en grandeur à être situé au faîte d'une longue progression dramatique où se succèdent sans pause conclusive les hallucinations d'Oreste, le chœur des Euménides, le long récitatif entre Oreste et sa sœur, et un chœur de prêtresses. La possibilité d'une comparaison avec l'Iphigénie en Tauride de Piccinni, créée à Paris en 1781, fait apparaître chez Gluck et son librettiste Nicolas François Guillard une double supériorité, au-delà d'une semblable adhésion aux canons de la tragédie lyrique ; d'un point de vue dramaturgique, tout d'abord, le découpage de l' action révèle une plus grande maîtrise de la distribution des épisodes : il est significatif, par exemple, que Guillard ait placé le songe d'Iphigénie avant, et non après l'évocation de la tempête, ce qui résout le problème de l'ouverture tout en imprimant à l'action un élan qui ne retombe qu'avec le premier air d'Iphigénie, « Ô toi qui prolongeas mes[...]
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Écrit par
- Michel NOIRAY : agrégé de l'Université, chargé de recherche au C.N.R.S.
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