SOAMES CHRISTOPHER (1920-1987)
Issu de la gentry, ayant fait ses études à Eton avant d'entrer à l'école militaire de Sandhurst, brillant officier de la Seconde Guerre mondiale, propriétaire foncier dans le Kent, Christopher Soames était un parfait représentant de l'establishment britannique et avait toutes les chances, s'il le souhaitait, d'être accueilli avec faveur dans le Parti conservateur. Son mariage en 1947 avec Mary, fille de Winston Churchill, alors leader de l'opposition, hâte son entrée en politique. À un moment où son parti favorise une relève dont la défaite électorale de 1945 a rendu évidente la nécessité, l'appui de son beau-père lui vaut de gagner quelque temps : Churchill fait de lui, après son entrée aux Communes en 1950, son secrétaire privé et lui permet ainsi de bénéficier d'une expérience exceptionnelle. Comme bien d'autres « brillants amateurs », c'est sur le tas que Soames fait son éducation d'homme politique et d'homme d'État.
Ce n'est qu'en 1955, dans le gouvernement d'Anthony Eden, qu'il accède à ses premières et alors modestes fonctions gouvernementales, comme sous-secrétaire à l'Air ; c'est Harold MacMillan, en janvier 1958, qui l'appelle au ministère de la Guerre, toujours au rang limité de « ministre hors du cabinet » ; en juillet 1960, il devient enfin membre à part entière du cabinet, chargé de l'Agriculture, et sa nomination à ce poste, au moment d'un grand bouleversement des structures gouvernementales, signifie qu'il fait partie des « Européens » dont MacMillan entend s'entourer pour préparer la candidature britannique au Marché commun. Ses qualités lui valent ensuite, entre 1964 et 1966, de passer aux Affaires étrangères, mais dans le « cabinet fantôme » de conservateurs revenus dans l'opposition. Battu aux élections de 1966, il ne reviendra au pouvoir que sous Margaret Thatcher, en 1979 : élevé à la pairie à vie l'année précédente, c'est comme lord-président du Conseil (privé) et chef de la majorité à la Chambre haute.
Cette carrière exemplaire a connu deux moments particuliers qui valent à Christopher Soames une place à part dans les événements contemporains. En 1968, un an après le dépôt par le Premier ministre travailliste de la candidature de son pays au Marché commun, Harold Wilson lui demande d'accepter l'ambassade à Paris : ancien de Bir-Hakeim, attaché militaire adjoint à Paris en 1947, ami de la France, il paraît bien placé pour convaincre le général de Gaulle de la volonté britannique de s'intégrer à l'Europe et de la nécessité de lever le veto français. Soutenu en particulier par Michel Debré, il obtient du président français une entrevue qui devait connaître une célébrité imprévue.
Le 4 février 1969, au cours d'un déjeuner, de Gaulle lui expose ses vues sur l'avenir européen, semble envisager d'un cœur léger la fin du Marché commun, voire aussi de l'O.T.A.N., au bénéfice d'une grande Association européenne qui serait dirigée par une sorte de directoire à quatre : France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni. Le Foreign Office réagit dans un climat d'extrême francophobie : il soupçonne de Gaulle, à quelques jours d'une entrevue de Harold Wilson avec le chancelier allemand Kiesinger et à quelques semaines de la venue en Europe de Richard Nixon de tendre un piège « diabolique » à la Grande-Bretagne si celle-ci s'avouait intéressée ; elle pourrait, si ces pourparlers bilatéraux étaient révélés, être brouillée avec ses futurs partenaires du continent comme avec le « grand frère » d'outre-Atlantique. Un communiqué à toutes les ambassades anglaises, la révélation par Harold Wilson lui-même des entretiens « Soames » au chancelier allemand lèvent cette hypothèque douteuse, mais contribuent à empêcher toute nouvelle approche de la France. L'Élysée n'accueille à nouveau[...]
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Écrit par
- Roland MARX : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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