CHROMATISME, musique
En musique, le terme « chromatisme » recouvre deux acceptions. La plus simple indique l'altération d'un demi-ton – vers le grave ou vers l'aigu – d'un degré diatonique ; dans ce cas, le chromatisme implique l'adoption d'une échelle de référence, l'échelle heptatonique naturelle, dernier stade du diatonisme. C'est sur cette échelle de sept sons diatonique qu'est fondée la musique dite tonale ; celle-ci hiérarchise l'échelle en privilégiant certains degrés sur d'autres : la tonique, la dominante – quinte supérieure à partir de la tonique – et la sous-dominante – quarte supérieure à partir de la tonique.
Dans sa seconde acception, celle à laquelle nous nous attacherons ici, le chromatisme désigne la division de l'octave en douze intervalles égaux (un demi-ton) ; une musique chromatique utilisera donc douze demi-tons ; comme il n'existe que sept noms de notes différentes alors qu'il faut en nommer douze, cinq de ces notes conservent leur nom, mais sont chacune pourvues d'un accident (dièse ou bémol).
Le chromatisme existe dès le diatonisme modal de la Renaissance, lorsque des compositeurs comme Carlo Gesualdo (vers 1561-1613) se mettent à user d'intervalles n'appartenant pas à l'échelle du mode initialement choisi. Mais il est important de préciser que ce chromatisme n'est que le résultat d'une rencontre harmonique chromatique au sein d'un contrepoint polyphonique linéaire. Le chromatisme proprement dit ne prendra en effet son véritable essor que lors de l'avènement du tempérament égal, qui sera traité pour la première fois de manière systématique par Jean-Sébastien Bach dans le Livre I de son Clavier bien tempéré, publié en 1722.
L'évolution du chromatisme – qui s'insinuera peu à peu dans le système tonal jusqu'à le faire éclater – passe à la fois par l'émancipation progressive de l'harmonie – qui va peu à peu se détacher de l'accord parfait de trois sons pour aboutir à ceux de six sons et plus – et par la métamorphose des règles de la modulation (passage d'une tonalité à une autre), toutes deux conquises durant le xviie siècle et théorisées par Jean-Philippe Rameau au xviiie (Traité de l'harmonie réduite à ses principes naturels, 1722 ; Nouveau Système de musique théorique, 1726). Ces règles elles-mêmes ne cesseront d'être transgressées, afin d'atteindre les enchaînements modulatoires les plus éloignés (comme celui des degrés IIb-V).
Cette conquête, qui va aboutir à la victoire du chromatisme sur le diatonisme tonal, passe donc autant par la mobilité de plus en plus grande du champ modulatoire que par l'acceptation – par l'oreille, par l'intellect et par la sensibilité – des harmoniques de plus en plus éloignés d'une fondamentale (dans l'échelle des résonances naturelles). Ainsi Claudio Monteverdi introduira-t-il l'usage de la septième de dominante et Rameau celui de la neuvième de dominante (neuvième harmonique). Au xixe siècle apparaîtront les onzième et treizième harmoniques ; on citera l'accord célèbre du début du final de la Neuvième Symphonie de Beethoven (1824), dans lequel tous les sons de la gamme diatonique sont superposés en un « total diatonique ».
L'étape qui fut cependant fatale à la tonalité eut lieu lorsque les modulations se firent si rapides et si complexes que l'on ne pouvait plus savoir avec précision dans quelle tonalité on se trouvait, lorsque la cadence se trouva ainsi déstabilisée dans son rôle fonctionnel. Dans un tel cas de figure, on parle alors de tonalité suspendue. Ce processus existe déjà chez Schubert – le musicologue Harry Halbreich en a relevé un exemple dans le Quatuor à cordes D 887, composé en 1826 –, avant celui, célèbrissime, que l'on[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Alain FÉRON : compositeur, critique, musicologue, producteur de radio
Classification
Autres références
-
CHAMPAGNE CLAUDE (1891-1965)
- Écrit par Juliette GARRIGUES
- 1 290 mots
Le compositeur et pédagogue canadien Claude Champagne est sans conteste la personnalité qui a exercé l’influence la plus considérable sur la vie musicale du Québec dans la première moitié du xxe siècle. Son action perdure à travers les nombreux compositeurs, pédagogues et musicologues qu’il...
-
GAMME
- Écrit par Michel PHILIPPOT
- 4 969 mots
...cinquante-trois parties égales qui se soit montrée la plus intéressante. C'est elle, en effet, qui génère un tempérament dans lequel on trouve deux demi-tons, l'un dit chromatique et l'autre diatonique, qui valent respectivement 5 et 4 cinquante-troisièmes d'octave. Par abus de langage, le cinquante-troisième... -
GESUALDO CARLO - (repères chronologiques)
- Écrit par Juliette GARRIGUES
- 591 mots
Vers 1561 Naissance de Carlo Gesualdo, prince de Venosa, comte de Conza, probablement dans les environs de Naples ; il est le deuxième fils de Fabrizio Gesualdo et de Girolama Borromeo, nièce du pape Pie IV.
1585 Le motetNe reminiscaris, Domine, première œuvre publiée de Gesualdo, témoigne de...
-
HARMONIE
- Écrit par Henry BARRAUD
- 6 418 mots
- 13 médias
...moment où, s'évadant de toute loi réputée plus ou moins conforme à la donnée naturelle, les musiciens introduisent dans leurs associations harmoniques des chromatismes ressortissant à une logique beaucoup plus abstraite. Tel est le cas de l'accord de quinte augmentée, accord cher à Debussy mais que l'on rencontre... - Afficher les 13 références