CHRONIQUE DES ANNÉES DE BRAISE, film de Mohamed Lakhdar Hamina
Une des œuvres phares du Tiers Monde
Ce film doit se comprendre comme l'aboutissement d'un long parcours, le passage de la résignation à la révolte, dévoilant la destinée collective d'un peuple à travers un destin individuel. Ahmed, pauvre paysan du Sud, cristallise toutes les épreuves de l'Algérie. Ces Chroniques, sous la forme d'un conte dans une tradition de transmission orale, réhabilitent une histoire jusqu'ici confisquée par les colonisateurs. La mise en scène reste essentiellement narrative. La figure de Miloud, le sage prophète, symbole de la mémoire populaire, fonctionne à la manière d'un personnage de la tragédie grecque. Elle s'adresse aux morts comme aux vivants sous la forme de paraboles philosophiques. Au début du film, sur un rythme lent, se déroule le quotidien des paysans luttant contre les éléments naturels et l'assèchement de leurs terres (troupeaux de moutons décimés dans le désert aride). L'eau constitue le thème central et récurrent du récit. Puis le rythme s'accélère peu à peu avec le mouvement des révoltes contre l'occupant colonial. L'image exprime alors davantage la violence humaine. À sa manière, Mohamed Lakhdar réécrit l'histoire nationale, sans toujours parvenir à montrer les complexités de la période. Il utilise les plans larges et horizontaux dans des cadrages très photogéniques (orages, crues, charges à cheval...). Le cinéaste revendique d'ailleurs sa filiation avec le cinéma soviétique d'Alexandre Dovjenko (1894-1956) Le Dit des années de feu (Povest'plamennih let, 1961), achevé par Youlia Solntseva. Chronique des années de braise sera critiqué à sa sortie pour son lyrisme flamboyant. Le quotidien gouvernemental El Moudjahid le jugera même réactionnaire : « Le metteur en scène s'ingénie à nous montrer que l'ennemi principal des masses paysannes reste la sécheresse... » Cependant ce film permet enfin à l'Algérie de mettre en scène sa propre histoire.
Dans le contexte d'une relance de la production du cinéma algérien des années 1970, ce film, commande de l'État pour le vingtième anniversaire de l'insurrection, est devenu une des œuvres phares du Tiers Monde. Malgré un budget décrié de 900 millions de francs, un goût pour le spectaculaire et une dramatisation digne d'une superproduction. Derrière les frontières confrontant colonisés et colonisateurs (ces derniers, d'ailleurs peu visibles à l'écran) et au-delà d'un hommage à l'Algérie indépendante, Mohamed Lakhdar dresse un portrait en profondeur des destinées humaines. L'anticolonialisme se fait ici vecteur d'une dimension humaniste. À travers une évocation avant tout lyrique, ce film demeure l'épopée personnelle de personnages ordinaires dont les regards réfléchissent le poids d'un passé susceptible de contribuer à dessiner un avenir.
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Écrit par
- Kristian FEIGELSON : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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