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CHRONIQUES (B. Dylan) Fiche de lecture

Bob Dylan et Joan Baez - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Bob Dylan et Joan Baez

L'année 2005 fut marquée par un regain d'intérêt pour Bob Dylan, à travers un afflux soudain de livres et de films documentaires. Greil Marcus a fait paraître un essai, immédiatement traduit en français par Thierry Pitel : Like A Rolling Stone : Bob Dylan à la croisée des chemins (Galaade, Paris, 2005) ; Sam Shepard a publié son journal sous le titre Rolling Thunder, Logbook (traduit par Bernard Cohen : Rolling Thunder : sur la route avec Bob Dylan, Naïve, Paris, 2005), qui relate la tournée de l'artiste en 1975 sur la côte est des États-Unis. Bob Dylan, l'album 1956-1966 réunissait des photos et documents inédits sur l'artiste. Martin Scorsese réalisait un film documentaire, No Direction Home, qui se présente comme une longue interview de l'artiste concernant les vingt-cinq premières années de sa vie. On pourrait prolonger l'inventaire ; mais l'essentiel était manifestement ailleurs : dans la publication en français des Chroniques (2004), que le chanteur présente comme le premier volume de son autobiographie (traduction par Jean-Luc Piningre, Fayard, Paris, 2005).

Dylan y raconte dans un désordre savant ses années de jeunesse : son enfance et son passé d'élève médiocre, son adolescence de marginal mal compris par son père, et quelques-uns des moments forts de son début de carrière, notamment son arrivée à New York et à Greenwich Village en 1961. Cinq chapitres composent l'ensemble, sans ordre chronologique. Deux d'entre eux reprennent le titre de disques : New Morning et Oh Mercy. Dylan y déjoue les discours ressassés et les icônes entretenues par beaucoup avec une nostalgie complaisante. Il revendique comme seul univers celui de la création musicale et artistique, quels qu'aient été les avatars et les dérives de sa vie. Chroniques révèle en outre un écrivain. Aux antipodes du témoignage vécu, l'ouvrage délivre une parole qui transcende l'événement. Par-delà le fourmillement d'anecdotes passionnantes, on touche à l'universel par la hauteur de vue d'un homme qui pense sa vie avec lucidité et pudeur, réfléchit sur la musique, le langage et la gloire. Une gloire qu'il a follement désirée, mais qu'il ne confond pas avec l'adulation imbécile des paumés qui ont voulu faire de lui un prophète et lui ont volé sa vie au point de mettre en péril sa santé mentale. Peu de choses sur les dollars, les substances ou le sexe ; tout en revanche sur la rencontre d'un artiste avec un destin en marche qu'il a résolument « enfourché ». Sans rapport donc avec la marionnette qu'auraient voulu faire de lui ces journalistes des années 1960 qui l'interviewaient avec une violence dans la vulgarité dont le film de Scorsese donne un aperçu, comme Don't Look Back de Donn Alan Pennebaker quarante années auparavant. À de multiples reprises, le talent littéraire de Dylan évoque les grands romanciers américains, tout comme son art de la composition, qui reste fort musicale dans l'écriture. Un peu comme s'il nous proposait un nouvel album dont le titre serait My Back Pages, et qui rassemblerait, comme l'ont fait ses plus grandes chansons, des portraits, des scènes, des instantanés. Folles légendes de l'Amérique moderne sous-tendues par une eschatologie issue d'une lecture puritaine de la Bible. Le chanteur rend un hommage fervent aux grands inspirateurs que furent pour lui Woody Guthrie, Hank Williams et Jack Elliott, ou à celui qui lui offrit chez Columbia un contrat jamais dénoncé, John Hammond. Joan Baez ou des musiciens moins connus du grand public – comme Dave Van Ronk – sont également présents pour la force de leur jeu, la qualité de leur son et la part qu'ils détiennent du secret de la musique. Ce sont eux qui ont su éveiller en Dylan une stimulation assez forte pour nourrir le désir d'être partout le plus grand.[...]

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Bob Dylan et Joan Baez - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

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