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CHYPRE ANTIQUE (art)

Une visite un peu attentive d'une des grandes collections d'antiquités chypriotes, au Cyprus Museum de Nicosie, au Louvre, au British Museum ou au Metropolitan Museum of Art de New York, suffit pour identifier ensuite assez aisément une œuvre fabriquée dans la grande île de la Méditerranée orientale avant l'époque d'Alexandre le Grand. Mais cette « marque » chypriote bien particulière, déjà évoquée par le poète tragique Eschyle au ve siècle avant J.-C., est en même temps très difficile à définir, car les artistes locaux n'ont pas cessé, du début du Bronze récent (vers 1600 av. J.-C.) au ive siècle avant J.-C., de modifier le style et le thème de leurs représentations en fonction des vicissitudes politiques, de l'orientation des contacts commerciaux et, surtout, des modes artistiques dominantes. De ce point de vue, Chypre témoigne d'un sens de l'adaptation qui la rapproche plus du monde grec proprement dit que des civilisations orientales et égyptienne.

Les principales caractéristiques du style chypriote s'expliquent d'abord par l'utilisation privilégiée de certains matériaux, et avant tout celle de l'argile, avec une abondante production de vases, parfois décorés de scènes peintes ou modelées, de figurines ou de véritables statues : cette tradition, représentée de façon très originale à l'époque du Bronze ancien (vers 2300-1900 av. J.-C.), se poursuit jusqu'à la fin du Bronze récent (vers 1050 av. J.-C.) et, après une assez nette récession des arts figurés à l'Époque géométrique (vers 1050-750), elle s'exprime très largement aux viie et vie siècles (Époque archaïque) sous la forme d'objets tournés ou modelés, plus rarement moulés. L'autre matériau caractéristique de l'art chypriote du Ier millénaire est un calcaire blanchâtre et tendre dont les principales carrières se trouvent autour des sites de Golgoi et d'Idalion, dans le centre de l'île. La consistance de cette pierre autorise un travail rapide, mais elle est un peu terne, et sa fragilité rend difficile l'expression du volume et du mouvement, défauts que l'artiste tente de corriger par de riches rehauts de peinture. Pourtant, les meilleures productions de cette statuaire offerte en quantité considérable dans certains sanctuaires de l'île dégagent un charme incontestable, né d'un mélange de virtuosité technique, d'éclectisme stylistique et de fraîcheur d'inspiration, qui justifie la réhabilitation de cet art trop souvent victime de la comparaison avec celui de la Grèce archaïque et classique.

À l'époque du Bronze récent, la statuaire en pierre est inconnue à Chypre, et les figurines en terre cuite ne sont offertes qu'en petite quantité dans les sanctuaires et dans les tombes : si la céramique figurée est très proche de celle du monde mycénien, à tel point que l'on hésite souvent sur le lieu de production des vases trouvés à Chypre, un remarquable artisanat de luxe associe motifs égéens et proche-orientaux sur des ivoires sculptés ou gravés, des pièces d'orfèvrerie comme le sceptre en or de Kourion, et des objets en bronze qui rappellent que Chypre doit l'essentiel de sa richesse à ses mines de cuivre ; les supports à décor ajouré d'Enkomi ou de Kourion et les statuettes du « dieu cornu » et du « dieu au lingot » d'Enkomi sont les exemples les plus spectaculaires de cette production métallique dont l'influence s'étend jusqu'en Méditerranée occidentale, spécialement en Sardaigne.

Au cours de ce qu'on a appelé les « âges obscurs de la Grèce » (xie-ixe s. av. J.-C.), les arts figurés ne disparaissent pas à Chypre, pas plus que ne s'interrompent les échanges avec la côte levantine, la Crète et le monde égéen (en particulier l'Eubée), mais l'expression[...]

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Écrit par

  • : professeur d'archéologie et civilisation grecques à l'université d'Aix-Marseille-I

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