CI-GÎT L'AMER. GUÉRIR DU RESSENTIMENT (C. Fleury)
Professeure titulaire de la chaire humanités et santé au Conservatoire national des arts et métiers et de la chaire de philosophie à l’hôpital, au GHU Paris psychiatrie et neurosciences, auteure d’essais tels que Les Pathologies de la démocratie (2005) et La Fin du courage : la reconquête d’une vertu démocratique (2010), Cynthia Fleury se définit à la fois comme philosophe et comme psychanalyste.
Si ces deux disciplines sont bien distinctes, avec des buts et des modes de raisonnement différents, rien n’interdit d’enrichir la pratique analytique par des considérations empruntées à des philosophes. C’est la démarche que nous propose Ci-gît l’amer (Gallimard, 2020). Le sous-titre le dit clairement : son ambition est de « guérir » de ce « ressentiment » qui n’est peut-être pas vraiment une maladie, mais relève bien de la psychanalyse. À la philosophie, Cynthia Fleury emprunte diverses références, dans un discours dont les normes sont celles de l’analyste plutôt que de l’argumentation philosophique.
Dans le mouvement du langage
Le lecteur se sent comme un interlocuteur, quelqu'un à qui l’on s’adresse en jouant des effets d’assonance entre les mots, de renvoi entre les métaphores. Est ainsi créée une sorte de musique à laquelle il convient de s’accoutumer comme à quelque chose qui porte le mieux-être espéré. Qui n’a aucune expérience de la cure psychanalytique pourrait percevoir un usage poétique de la langue, voire des calembours, là où il s’agit plutôt de retrouver le surgissement de la libre parole de l’analysant.
« L’impact du ressentiment attaque donc le sens du jugement. » Prise au pied de la lettre, cette phrase est absurde : on ne voit pas comment un impact pourrait attaquer quoi que ce soit. C’est qu’elle ne doit pas être lue, mais entendue. En adoptant cet état d’esprit, on devient sensible aux effets sonores. D’un côté « impact », « attaque », « donc ». De l’autre « ressentiment », « sens », « jugement ». Trois mots qui claquent, enlacés avec trois mots lents et doux. La signification d’une telle phrase naît de l’effet sonore produit. On peut dès lors admettre aussi que « l’écho » et « l’aura » soient traités comme les synonymes que, rationnellement parlant, ces mots ne sont certes pas.
Un autre aspect de cette écriture que l’on est tenté de qualifier d’orale est un usage du ressassement en guise d’argumentation. La psychanalyste ne s’adresse pas à la raison de son lecteur-analysant ; elle n’ambitionne pas de lui démontrer quoi que ce soit, mais de produire une conviction. Cela peut procéder par la répétition, ou tout aussi bien par un usage décomplexé de la subjectivité. L’analyste met son « je » en avant pour dire ce qu’elle croit ou ne croit pas, proclamer que ceci est ou n’est pas « tout à fait juste ».
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Marc LEBIEZ : agrégé de philosophie, conseiller hors-classe au Sénat
Classification