CICÉRON (106-43 av. J.-C.)
Homme d'État, orateur prodigieux, théoricien de l'éloquence, mais aussi philosophe, Cicéron a été victime, aux yeux de la postérité, de tous ses dons ; il a été surtout victime du fait d'être devenu trop tôt, de son vivant même, un auteur « classique » et scolaire, faisant toujours un peu figure d'écrivain égaré dans la politique. Une tradition moderne, qui remonte à Mommsen, a, de parti pris, tenté de condamner l'homme privé et public, de décrier le politicien et même de rabaisser le philosophe qui ne serait qu'un « adaptateur » brillant et superficiel : Cicéron, s'il a des amis, a toujours beaucoup d'ennemis. Une « réhabilitation », comme voudraient la tenter les auteurs de cet article, serait de peu d'intérêt s'il ne s'agissait que de défendre une mémoire. Il est plus intéressant de montrer que cette réhabilitation permet d'écarter plusieurs contresens invétérés, concernant aussi bien la carrière, l'action politique, l'œuvre théorique que la philosophie de Cicéron. Du coup, on lui restitue une dimension, une cohérence, une humanité qui justifient son prodigieux succès culturel : car sur lui repose en partie l'« humanisme ». Il est intéressant aussi de savoir que cette tradition qui traite l'homme, le politique et le penseur avec tant de désinvolte mépris a été systématiquement forgée par ceux-là mêmes qui l'avaient assassiné – Octave et ses complices – assassinant, du même coup, les libertés romaines.
L'homme d'État
Marcus Tullius Cicero est né à Arpinum, en pays volsque, à une centaine de kilomètres à l'est de Rome. Sa famille, fort honorable, appartenait à l'ordre équestre et comptait des magistrats municipaux et des officiers supérieurs de l'armée ; elle était en outre directement alliée avec celle de Marius qui gérait alors son deuxième consulat. Son grand-père, son père et ses oncles, particulièrement cultivés, entretenaient des relations avec les plus grands orateurs et les plus grands juristes de Rome, Marc Antoine, le grand-père du triumvir, Lucius Licinius Crassus, Aemilius Scaurus, Quintus Mucius Scaevola. Élevé dans un milieu lettré et ouvert à la politique, le jeune Cicéron manifeste très tôt des dons intellectuels éclatants. Comme les jeunes sénateurs, il étudie la poésie, la rhétorique et le droit ; il s'intéresse aussi, ce qui est moins fréquent, à la philosophie. En 89, il est attaché à l'état-major de Cneius Pompeius Strabo, père du grand Pompée, pendant la guerre Sociale ; sa famille ayant des sympathies chez les partisans de Marius (un de ses cousins germains sera deux fois préteur, en 85 et 84), il s'éloigne pour terminer ses études en Grèce et à Rhodes. En 81, il débute au barreau, puis, avec l'appui de la puissante famille des Metelli, plaide contre un des affranchis de Sylla, le tout-puissant Chrysogonus : ce discours, Pro Sexto Roscio Amerino, n'est sans doute pas étranger à l'abdication de Sylla. Cependant, il doit s'éloigner encore une fois de Rome.
Défenseur de la légalité
En 77, il épouse Terentia, d'une famille de la noblesse, et aborde la carrière des honneurs. Il est élu questeur en 76, à l'âge légal, et exerce cette magistrature en Sicile : c'est le début d'une magnifique carrière d'homme nouveau, qui doit l'essentiel de sa réussite au mérite personnel et non au jeu des clientèles. Le parti démocratique, décimé et battu depuis 82, mais soutenu par une partie de l'ordre équestre, relevait alors la tête. Il combattait pour l'abolition de la Constitution de Sylla et le rétablissement des droits des tribuns de la plèbe, pour l'inscription effective des Italiens dans la cité romaine et surtout pour la fin du monopole sénatorial sur les tribunaux politiques. En 71, les[...]
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Écrit par
- Alain MICHEL : professeur de langue et littérature latines à l'université de Paris-IV-Sorbonne, administrateur de la Société des études latines
- Claude NICOLET : maître de conférences à la faculté des lettres et sciences humaines de Caen
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