CICÉRON (106-43 av. J.-C.)
Les ouvrages de rhétorique
Cedant arma togae. Cicéron n'avait pas d'autres moyens d'action et d'influence que son éloquence. C'est en ce sens qu'on peut assimiler à un traité politique ses trois livres de dialogues à la manière d'Aristote, De oratore (55) ; il avait déjà écrit, vers 88, deux livres De inuentione, dont il devait plus tard condamner la forme scolaire. À partir de 46, profitant des loisirs forcés offerts par la révolution césarienne, Cicéron écrit un Brutus (histoire de l'éloquence à Rome), un Orator qui reprend le De oratore en un livre, en insistant particulièrement sur les problèmes esthétiques. Il va rédiger des ouvrages plus courts : les Partitiones oratoriae (manuel d'une structure très originale, pour son fils), le De optimo genere oratorum (bref traité sur la primauté du style démosthénien) et surtout les Topiques, où il étudie de façon approfondie et magistrale la dialectiquede l'orateur.
On doit mesurer toute l'audace et l'originalité qu'il y a pour un homme d'État important, un ancien consul, à publier ainsi des œuvres généralement réservées à des personnages de moindre rang, à des professeurs. Cicéron, homo nouus, reste proche des érudits de l'ordre équestre ; surtout, il pousse jusqu'à ses conséquences extrêmes sa conception de l'action : pour lui, action et culture sont inséparables. Haïssant toute violence, cherchant l'efficacité, il ne peut la trouver que dans la parole agissante, dans l'éloquence, mais encore dans une éloquence savante, et même philosophique. Car c'est ici qu'il faut insister surtout : la culture oratoire, telle que la conçoit Cicéron, dépasse l'éloquence même dans ce que celle-ci paraît avoir de complaisant. Puisque l'homme d'État est un éducateur, il doit lui-même recevoir une formation universelle : il faut d'abord forger tout l'homme pour obtenir un personnage politique. Ainsi naît la notion moderne d' humanisme : humanitas ne signifie plus seulement « amour de l'humain », mais en même temps « culture ».
Tel est le premier problème qui se pose : celui de la culture. Cicéron se trouve entre trois options : les professeurs d'éloquence de son temps essaient de ramener leur art à quelques recettes de routine ; Isocrate avait conçu ce que nous appelons la « culture générale », étendue, sélective cependant, ennemie des curiosités excessives et des spécialisations ; avant Isocrate, les sophistes avaient rêvé d'un savoir universel et approfondi, et certains philosophes, Aristote, le stoïcien Posidonius, avaient essayé plus ou moins de réaliser cet idéal. Cicéron rejette la première solution et balance entre les deux autres. Si la position d'Isocrate représente le moindre mal, celle des philosophes offre un idéal dont on peut se rapprocher, soit individuellement, soit en suivant l'évolution des cultures et des traditions (cf. De oratore, I, 92-94).
Cette attitude à la fois nuancée et exigeante est dictée à Cicéron par les penseurs de l' Académie, en particulier Charmadas, élève de Carnéade, dont l'influence lui a été transmise à la fois par ses maîtres romains, de grands orateurs sénatoriaux, Antoine et Crassus, qu'il fait parler dans le De oratore, et par son propre professeur de philosophie, Philon de Larissa, scholarque de la Nouvelle Académie, qui mêlait à son enseignement des cours de rhétorique (De oratore, III, 110). On comprend donc que la philosophie tienne une très grande place dans la rhétorique de Cicéron ; elle intervient pour lui fournir une technique : l'esthétique du De oratore, III, fortement influencée par Théophraste, cherche à combiner la grâce ou convenance, avec la beauté ; la psychologie d'inspiration platonicienne et stoïcienne tend à dominer les passions,[...]
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Écrit par
- Alain MICHEL : professeur de langue et littérature latines à l'université de Paris-IV-Sorbonne, administrateur de la Société des études latines
- Claude NICOLET : maître de conférences à la faculté des lettres et sciences humaines de Caen
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