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CID LE

Le romancero du Cid

Comme tous les héros d'épopée, le Cid attire sur son personnage les exploits légendaires célébrés de tous temps par la nation castillane. Les jongleurs le pourvoient de « jeunesses » fantastiques, où l'imagination puérile l'emporte sur le respect dû à l'histoire ou à la vraisemblance. Leur public, on le sent, est certes plus populaire et plus jeune. Ces poèmes marginaux ont disparu, mais ils ont laissé leurs traces dans les Chroniques générales d'Espagne, faites sur commande royale, dès la fin du xiiie siècle. La Chronique rimée, qui date du xve siècle, reprend cette tradition, mais sur le mode poétique. Au xvie siècle les nouveaux jongleurs, qui composent pour les foules de courtes narrations épiques, nommées « romances », reprennent à leur compte tout le matériel cidien présent dans les histoires, aussi bien que dans les chansons, et le traitent selon une formule originale, particulièrement efficace et d'une beauté souvent inégalée. En effet, dans les « romances », le récit est dramatisé au moyen du dialogue, de la péripétie – ou coup de théâtre – et du dénouement volontiers tragique. En outre, des éléments lyriques, qui font appel à l'admiration, ralentissent le tempo : ce sont la courte mélodie, répétée, d'accompagnement, sur viole ou sur guitare, la description et la réflexion sentencieuse du narrateur. Ainsi, l'on « voit », sous les couleurs les plus brillantes, l'infante Urraca chaussant, avec une tendresse mal dissimulée, les éperons à Rodrigue, jeune page de son père, ou bien le vénérable et caduc don Diègue recourir à ses enfants pour venger l'affront du comte Lozano. Or, à l'épreuve, c'est Rodrigue, son benjamin, le moins favorisé par la loi d'héritage, qui se montre le plus ardent à la querelle. L'offenseur est le père de Chimène, qui devient ici une dame de la Cour, rivale d'Urraca. Rodrigue tue le comte. Chimène crie justice, réclame la tête de celui qu'elle aime. Le roi justicier le bannit. Mais le Cid remporte cinq victoires sur les rois maures, et la nation chrétienne, reconnaissante, lui pardonne. Le souverain propose alors à l'orpheline d'épouser l'homme puissant dont elle a besoin dans sa détresse. La farouche jeune fille refuse, tout entière à son grief et à sa piété filiale. Aussi l'admiration va-t-elle croissant, surtout dans le cœur de Rodrigue. Et Chimène triomphe quand enfin elle cède.

D'autres romances brodent sur les guerres civiles auxquelles fut mêlé le fidèle vassal ; d'autres encore traitent de la prise de Valence et du premier mariage infortuné des filles de Rodrigue et de Chimène. Dans nombre de ces petites pièces lyrico-dramatiques, on est bien tenté de voir une transposition historique et d'entendre l'écho du sentiment de la noblesse castillane entre 1520 et 1550. Alors l'ardente nation guerrière, qui s'illustre en Italie et aux Indes, s'est sentie bafouée par la somptueuse cour de Bourguigons et d'Italiens, ces « mauvais conseillers » du roi et empereur Charles Quint. Le romancero montre que l'histoire semble se répéter et il fait du Cid le parangon des vertus castillanes, de la rudesse virile et de la loyauté, tout en évoquant la crudité naïve et la simplicité honnête des mœurs ancestrales. Ainsi la nation espagnole prend-elle une idée d'elle-même et, en se projetant dans son passé, trace sa voie la meilleure dans l'avenir.

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris, directeur de l'Institut d'études hispaniques de l'université de Paris

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