CIMABUE (1250 env.-env. 1302)
L'invention d'un langage figuratif
L'apport de Cimabue, la qualité que lui reconnaissent Dante puis Vasari tiennent à l'invention d'un langage figuratif, pouvant concurrencer les langages byzantins et illustrer une nouvelle manière de peindre. Il serait en quelque sorte à la source d'un art “illustre”, pour reprendre l'expression que Dante emploie dans son De vulgari eloquentia (1304-1306) quand il parle d'un “illustre italien” susceptible de rivaliser avec la langue latine. Cela se traduirait par l'abandon progressif des arts somptuaires, pour la maîtrise de plus en plus affirmée des ressources d'une peinture sur bois, a tempera. À Assise, dans le transept, et en particulier sur la grande Crucifixion du bras nord, Cimabue demeure encore très proche de la peinture constantinopolitaine, telle qu'on la pratique alors à la cour des Paléologues : ses figures sont d'un style très expressif, les mouvements brusques, les contours rendus par des traits hachurés. De la même façon, sa vaste composition s'inspire directement des programmes de décoration des églises byzantines : il dispose les évangélistes sur la voûte de la croisée puis, sur les murs, les peintures représentant des épisodes de la Vie de Marie, de l'Apocalypse, des Vies des saints Pierre et Paul. Toutefois, un sentiment tout personnel de l'espace perce dans le rendu en perspective oblique des architectures qui abritent ses évangélistes. Le style change plus nettement avec la Majesté de Marie qu'il peint pour le couvent Saint-François, à Pise : une profonde sérénité commence à envahir ses compositions et se traduit par l'élégance des lignes et l'unité des formes. Dans les grands crucifix qu'il exécute à Arezzo, mais surtout à Florence dans l'église Santa Croce, Cimabue déploie une sensibilité nouvelle au modelé du corps, tout en courbes et en volume, à la légèreté des apparences vues à travers une gaze, par exemple à Santa Croce, et non plus à travers un pagne (perizonium) de couleur opaque, comme encore à Arezzo. À la fin de sa vie, travaillant à un saint Jean en mosaïque, dans l'abside du dôme de Pise, il réussit à allier la monumentalité à la grâce : l'ampleur de ses drapés, la richesse de ses matières donnent à la figure une forte assise, tout en lui conservant une apparence naturelle par le rendu délicat du visage et de la chevelure. Son personnage contraste avec les autres, trapus, âpres parfois, qui sont sans doute l'œuvre d'un artiste florentin, formé dans la mouvance de Coppo di Marcovaldo (documenté de 1225/1230 à 1280). Or, au début de son apprentissage, Cimabue a pu étudier – ou connaître – le style du vieux maître : à la suite de son évolution personnelle, presque tout désormais l'en sépare.
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Écrit par
- Daniel RUSSO : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, ancien membre de l'École française de Rome, professeur d'histoire de l'art médiéval à l'université de Bourgogne
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