CIMABUE (1250 env.-env. 1302)
Nouveau style, nouveau public
En peinture, Cimabue peut donc rivaliser avec les arts somptueux de l'Orient grec. Après lui, à Sienne particulièrement, cette tendance s'affirmera avec Duccio déjà, mais surtout avec Simone Martini. Le premier, Cimabue utilise le support de bois enduit et peint a tempera, pour traduire aux yeux du patriciat urbain d'une commune de l'Italie centrale les effets prestigieux de l'art de cour raffiné des Paléologues. Sa fortune résulte ainsi d'un complet changement de registres, technique, formel et social : par là, il intéresse à l'art de la peinture une génération entière qui se retrouvera dans les œuvres de Duccio, de Giotto, de Simone Martini. En raison de son succès auprès d'une clientèle riche et influente, il obtient toute latitude pour mettre son savoir-faire au service du pouvoir politique dans sa ville et dans les villes alliées. Les œuvres dont il reçoit la charge, les chantiers qu'il dirige comme maître d'œuvre, tout se situe à l'intérieur de l'alliance guelfe qui regroupe quelques communes d'Italie centrale, avec le soutien de la papauté. Sa compréhension des intérêts communaux vaut à ses peintures, notamment ses Majestés de Marie – figure emblématique des cités guelfes – une reconnaissance qui est aussi esthétique. Le processus est complexe et nouveau dans l'art occidental. La Majesté mariale qu'il peint pour l'autel de l'église de la Sainte-Trinité, à Florence, vers 1285, est exemplaire à cet égard. Depuis la fin du xiie siècle, l'église sert d'édifice paroissial. La commande est adressée à Cimabue au moment où, sous l'influence de la politique générale de la commune, on choisit le patronage de la Vierge Marie. Dans l'iconographie, le peintre suit un projet officiel. Mais, surtout, il enrichit la composition du trône en imitant les incrustations d'émaux et les filigranes dorés qui, d'ordinaire, ornent les orfèvreries religieuses. Il rend de la sorte la préciosité des matières et recrée l'illusion de la réalité, chatoyante, luxueuse, d'un reliquaire. La représentation qu'il donne du trône monumental doit beaucoup aux sculptures de Nicola Pisano et à la Vierge trônant avec l'Enfant de l’artiste toscan qui travaille dans l'abbaye de Sant'Antimo, autour des années 1260. En reprenant certaines formes, Cimabue modernise le thème traité en imprimant à ses motifs un accent gothique appuyé, tel l'arc de forme ogivale qui orne le dessous du marchepied, et en imitant un décor de marqueterie. Il démontre sa grande virtuosité formelle, ce qui lui permet malgré tout de conserver pour trame de sa composition l'ancien trône que représentait, entre autres artistes, Coppo di Marcovaldo. Sous l'influence de Duccio, Cimabue peint une nouvelle Majesté, aujourd'hui au musée du Louvre, à Paris, dans laquelle il adopte plus vigoureusement un style gothique, “à la française”, plaçant à la base du trône des arcatures doubles et triples pour suggérer un élan vertical, ou évoquant à travers ses couleurs aux teintes précieuses les pâtes de verres irisés qui, à cette date, remplacent dans la décoration de l'ameublement l'emploi d'émaux translucides. Il rejoint ici Duccio et les Siennois, mais s'écarte de leur préciosité pour mieux cerner les réalités qu'il prend comme sujet de sa peinture.
Cimabue assure la transition entre deux époques et deux manières de voir. Parvenant à la synthèse, en milieu urbain, des valeurs de l'art de cour, il a pu inventer un langage figuratif original qui met à distance l'art byzantin et retrouve, d'une certaine manière, les pratiques toscanes.
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Écrit par
- Daniel RUSSO : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, ancien membre de l'École française de Rome, professeur d'histoire de l'art médiéval à l'université de Bourgogne
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