AFRO-AMÉRICAIN CINÉMA
Cinémas de ghetto
Avant d’être devancée par la communauté hispanique, la communauté afro-américaine a longtemps constitué la principale minorité ethnique aux États-Unis. Vers le milieu des années 1910, à la suite de la première grande migration vers le Nord et ses centres industriels, une bourgeoisie noire commence à se former, avec ses intellectuels et ses hommes d’affaires. En 1909 est créée la NAACP, une organisation progressiste composée de Blancs et de Noirs, qui va jouer un rôle important dans la prise de conscience de ces derniers.
C’est pour répondre à Naissance d’une nation (Birth of a Nation, 1915), évocation de la guerre de Sécession et de ses lendemains, où David Wark Griffith justifie la création du Ku Klux Klan, que le premier mouvement de cinéma indépendant noir voit le jour. Auparavant, dès 1910, William Jones Foster avait fondé la Foster Photoplay Company pour lutter contre l’emploi de minstrels (des Blancs grimés avec du cirage) dans les théâtres et les cinémas. Le court-métrage qu’il réalise sous la bannière de cette entreprise, The Railroad Porter (1913), est certainement le premier film mis en scène par un Noir. Le succès public de Naissance d’une nation conduit donc le jeune Emmett Jay Scott à envisager de lui apporter une réponse cinématographique. Son projet s’appelle d’abord Lincoln’sDream et veut insister sur l’apport des Noirs à la société américaine. Ne pouvant réunir les capitaux nécessaires auprès des financiers de sa communauté, il fait appel à l’argent des Blancs. Le film, terminé en 1918, s’intitule The Birth of a Race ; la question du racisme y est à peine effleurée, au bénéfice d’une fresque sur la fondation des États-Unis.
De ces prémices aux films de Charles Burnett ou Hailé Gerima, réalisés soixante ans plus tard par des indépendants beaucoup plus libres et radicaux, les cinéastes noirs ne purent quasiment jamais dominer de bout en bout leurs œuvres, Spike Lee étant l’exception qui confirme la règle. Après lui, de très nombreux réalisateurs afro-américains travailleront pour les grands studios, souvent sur des sujets personnels.
D’où la difficile définition du cinéma noir stricto sensu. Un réel travail historique sur ces courants de cinéma ethnique ne fut entrepris, des deux côtés de l’Atlantique, que dans les années 1970 et 1980. Cela s’explique par la découverte d’importants stocks de vieilles bandes et leur popularisation dans les années 1990, puis en 2015.
Seuls les journaux de la communauté publiaient, lors de leur sortie, des résumés de ces films, et certaines histoires du jazz citaient parfois le nom d’Oscar Micheaux. La légitimation de cette première vague fut rendue possible par les écrits d’universitaires noirs et l’organisation de festivals spécialisés aux États-Unis, mais aussi en France, aux Pays-Bas et en Allemagne.
Les historiens ont montré qu’entre 1913 et 1948, il aurait existé environ cent cinquante compagnies de production indépendantes, la plupart étant mixtes. Par ailleurs, la moitié de ces groupements, bien qu’officiellement enregistrés, n’eurent pas les moyens de tourner de films. Citons parmi les plus importantes : la Lincoln Motion Picture Company, fondée en 1916 par les frères George P. et Noble Johnson à Los Angeles ; la Frederick Douglass Film Company qui vit le jour à New Jersey en 1919. Avec des films comme The Realization of a Negro’s Ambition (1916), la Lincoln va définir le modèle qui prévaudra dans de nombreuses productions de l’époque : profondément intégrationniste, le film prône le respect de valeurs familiales proches de celles de l’Amérique blanche. La Colored Players Film Corporation of Philadelphia a produit un des fleurons du genre, Scar of Shame réalisé par Frank Perugini (1927), long-métrage qui utilise les codes du mélodrame, pour témoigner de l’existence d’une bourgeoisie noire, donc[...]
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Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
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