CINÉMA (Aspects généraux) La cinéphilie
La critique cinématographique
Le plus célèbre défenseur du cinéma populaire est sans conteste Louis Delluc (1890-1924), cinéaste, critique et, à bien des égards, beaucoup plus digne de porter le titre de « premier cinéphile » que Ricciotto Canudo : comme l'écrit Alexandre Arnoux, Delluc a su écrire « les premières pages sur le cinéma que l'on puisse retenir ». Inventeur des mots « cinéaste » et « ciné-club », Delluc est surtout le créateur d'un paradigme majeur de la critique française lorsqu'il choisit de vanter les mérites de l'art populaire, de l'acteur-créateur (comme dans les pages consacrées à Charlie Chaplin et à Douglas Fairbanks), plutôt que ceux du cinéma d'art, du ciné-roman ou du film théâtral, toujours tributaire des conventions scéniques. Delluc creuse sur ce point précis le fossé qui sépare le cinéma américain de son homologue français. Il joue délibérément le premier contre le second et instaure une rhétorique du dénigrement – souvent justifié – qui sera reprise telle quelle trente ans plus tard par François Truffaut quand il s'en prendra à « Une certaine tendance du cinéma français ». Le plus étonnant est de voir ce type de discours s'amplifier et se généraliser, par-delà l'exercice de la critique, à l'ensemble de la « tribu cinéphile » qui rencontre en cela les goûts du grand public – mais sait trouver les mots pour dire une expérience souvent muette dans tous les sens du terme.
Et il n'est guère surprenant de voir le virus de la cinéphilie affecter au premier chef les poètes, lesquels, d'Apollinaire à Aragon, et par suite à l'ensemble du groupe surréaliste, seront les plus fervents thuriféraires du nouvel art populaire. Avant que Georges Duhamel ne cingle de son mépris le « divertissement d'ilotes », et à l'heure où le philosophe Alain compare la salle obscure au « royaume des ombres », la quête de légitimité ne passe pas par l'argumentation, philosophique ou sociologique. À dire vrai, elle ne cherche même pas à obtenir des lettres de créance tant la légitimité du cinéma semble évidente, et d'autant plus qu'elle se nourrit au magasin le mieux achalandé. Robert Desnos, une des étoiles de la critique cinématographique, n'a cessé de proclamer une telle évidence au fil de ses chroniques. Il reprend à son tour l'antienne de Delluc sur le cinéma français (« Dites que je le déteste », écrit-il dans sa « Conversation » en 1928) et donne derechef la première place à Hollywood, précisant toutefois qu'il préfère « les films américains que n'aiment pas les Américains, Charlot, Stroheim ». Le fait est que la génération qui allait au cinéma dans les années 1920, notamment à Paris, a formé la première garde de la cinéphilie. Les étudiants du quartier Latin et le public des amateurs fréquentaient des salles fameuses : le Vieux-Colombier, le Ciné-Latin, le Studio 27, le Studio de l'Étoile, ou le Studio des Ursulines. Les plus mordus lisaient les premières véritables revues : Cinéa (dirigée par Delluc jusqu'à sa mort et devenue plus tard Cinéa-Ciné), Cinégraphie et Photo-Ciné de Jean Dreville et, de 1928 à 1931, la première série de la Revue du cinéma. D'abord dirigée par Pierre Keffer et Jacques Niel, elle devient, sous la houlette du « non-conformiste » Robert Aron et, surtout, par la grâce de son rédacteur en chef Jean George Auriol, une publication de très haute tenue. Publiée par Gallimard, la revue présente les textes de collaborateurs prestigieux : André Gide, Michel Leiris, Philippe Soupault, Jacques Prévert et... Robert Desnos. Mais l'importance de la publication réside surtout dans la conjonction des talents réunis par Auriol pour composer une équipe où se retrouvent Jacques-Bernard Brunius, Jean-Paul Dreyfus[...]
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Écrit par
- Marc CERISUELO : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée
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