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CINÉMA (Aspects généraux) La cinéphilie

La création de la Cinémathèque française

La « révolution » du parlant ne suscita pourtant pas un enthousiasme sans partage dans le milieu cinéphile. Après les pétitions, signées René Clair, Jean Renoir, Léon Moussinac, Charlie Chaplin ou Eisenstein contre le « diktat des frères Warner », vint le moment d'une douloureuse prise de conscience. Le cinéma n'était plus un langage universel : s'il suffisait jusqu'alors de traduire les intertitres – supportés par des cartons que l'on insérait à l'ultime étape du montage – pour faire circuler les films à travers le monde, il fallait désormais comprendre la langue naturelle parlée à l'écran. Les cinématographies devenaient vraiment nationales. Plus que le reproche de « théâtre filmé » adressé au parlant, plus que la perte d'un art enfant (« l'enfance de l'art », dira Jean-Luc Godard), plus encore que le chômage pour les acteurs du mélodrame muet et les génies du burlesque, la réduction des possibles cinématographiques à l'expression dans un idiome unique creuse en quelque manière le tombeau de la première cinéphilie. Les « versions multiples » du début du parlant et la généralisation du doublage n'y changent rien : elles renforceraient plutôt de manière désespérée un tel monolinguisme. La réponse, certes, ne sera pas longue à attendre : les premières œuvres parlantes de Fritz Lang, les films musicaux, la « comédie américaine », l'épatante décennie 1930 du cinéma français ; autant de jalons qui installeront définitivement la nouvelle forme. Mais le mouvement des revues et, dans une moindre mesure, des salles d'art n'accompagnent plus le mouvement : quand le film devient éloquent, le cinéphile se fait silencieux. La passion fondamentale se concentre alors sur le sauvetage des films muets (près de neuf sur dix sont perdus à jamais). Les années 1930 sont marquées par la création des cinémathèques à travers le monde. Deux ans après New York (MoMA), un an après Londres (B.F.I.), Henri Langlois et quelques amis fondent en 1936 la Cinémathèque française qui deviendra la plus importante du monde, et jouera un rôle essentiel dans la cinéphilie d'après guerre quand le maître des lieux organisera de savantes séances de projection où, pour la première fois, les films du passé ne seront plus « interdits ». Non seulement les jeunes générations découvriront des films dont elles n'avaient de connaissance que livresque ou orale, mais les œuvres d'autrefois seront vues sur le même plan que les œuvres contemporaines. Le cinéma faisait moins la conquête de son histoire qu'il ne prenait conscience de son historicité.

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  • : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée

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