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CINÉMA (Aspects généraux) La cinéphilie

Un objet bel et bien perdu

On peut reprocher beaucoup de choses aux premiers Cahiers du cinéma : leur catholicisme fervent parfois un peu embué, leur apolitisme – traditionnellement classé à droite par la critique de gauche – qui se transformera en ultrapolitisation après Mai-68, et l'exercice d'une certaine terreur toujours perceptible dans la critique, les festivals, la programmation de certaines salles. Mais il faut reconnaître au groupe une authentique audace et une réelle efficience dans des choix critiques qui ont circonscrit l'espace de la cinéphilie. La « politique des auteurs » peut, certes, conduire à des aberrations esthétiques, car il n'est que trop vrai que l'on aime le plus souvent plutôt tel film d'un cinéaste, voire tel détail ou telle séquence. Poussée dans ses retranchements, la politique des auteurs pourrait fort logiquement être opposée à la cinéphilie. Mais il faudrait alors oublier la profonde originalité d'une attitude qui, une nouvelle fois, sait se situer à l'épicentre de la production, non dans ses marges, au cœur du cœur – à Hollywood. Car il ne faut pas être grand clerc pour écrire en 1955 que Bergman ou Bresson sont des « auteurs » ; la tâche est beaucoup plus délicate quand sont concernés les employés des compagnies américaines, simples rouages d'un système qui place au devant de la scène l'acteur et le producteur, et pour qui l'« auteur » est avant tout un écrivain, et, au mieux, le scénariste qui aura réussi (Sturges, Wilder, Huston) à convaincre ses patrons de le laisser « passer » à la réalisation. La politique de la « mise en scène » peut très bien conduire à une tératologie historique si l'on pense que les producteurs hollywoodiens sont disposés à laisser toute latitude à un cinéaste. C'est précisément ce que croient – ou ont cru – la plupart des cinéphiles qui ont élaboré un objet largement imaginaire. De fait, suivre aveuglément la politique des auteurs (aimer chaque film de quiconque a été adoubé ; ne pas considérer les films – même les bons – de celui qui ne l'est pas) ne peut conduire qu'à des désagréments pour peu que la liberté de l'esprit ne soit pas totalement annihilée. Il n'en demeure pas moins que les choix d'Hitchcock, Hawks et Lang permettent d'élaborer des modèles par la récurrence des figures, le pouvoir de monstration et la notion même de plan. La cinéphilie n'aura plus rien à nous dire, et ce jour n'est pas nécessairement lointain, quand on pensera en premier lieu en termes de flux mental et non de monstration. Le cinéma est un art impur aussi parce qu'il pollue de données esthétiques et évaluatives les plus beaux ordonnancements fictionnels. Autre rédacteur des Cahiers du Cinéma, mais qui n'a pas voulu perpétuer l'ancien culte et a tenu à vérifier ce qui arrivait quand les objets de ce culte « passaient » à la télévision, Serge Daney (1944-1992) a bien résumé le problème dans son Itinéraire d'un cinéfils : « Je vais avoir peur parce qu'Hitchcock me met à cette place qui est la mienne et ne relève en rien du hasard parce que le cinéma est un espace vectorisé [...]. Le cinéma ce n'est pas l'art des images, c'est l'acte de montrer. » Proche de Daney, Louis Skorecki fut probablement le dernier à maintenir la tension de cette cinéphilie fervente, et pourtant morte depuis si longtemps. En tant que telle, la cinéphilie française paraît désormais sans emploi. Restent des monuments : le dictionnaire de Jacques Lourcelles, survivant du mac-mahonisme, groupe majeur qui élut Lang, Losey, Walsh et Preminger au firmament de la « mise en scène » à la fin des années 1950 ; la revue Positif, fondée en 1952, longtemps « éternelle seconde » des Cahiers mais qui a eu l'insigne privilège[...]

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  • : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée

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