CINÉMA (Aspects généraux) Les cinémathèques
Le terme de cinémathèque est apparu au milieu des années 1930. Depuis, il n'a cessé de se brouiller. Dans les premières décennies du septième art, né comme spectacle à la fin de 1895, identifié comme art autour de 1910, la proposition de faire du cinéma un objet de collection ne pouvait que relever du non-sens. Lorsqu'il a conquis son premier public, le plus souvent sur les champs de foire du tournant du siècle, puis dix ans plus tard dans les premières salles, habillées d'or et de velours comme les théâtres bourgeois, ancrées au long des boulevards des métropoles, le cinéma était pour le plus grand nombre au mieux une machine à rêves, et pour beaucoup de beaux esprits le « divertissement d'ilotes » stigmatisé par Georges Duhamel. Antoine Lumière, le père des inventeurs, et en quelque sorte le grand-père du cinématographe né à Lyon dans la rue qui s'appelle aujourd'hui rue du Premier-Film, n'était pas loin de penser la même chose. De la machine mise au point par ses fils il disait : « Elle peut être exploitée quelque temps comme une curiosité scientifique, en dehors de cela elle n'a aucun avenir commercial. » Ce n'est qu'avec les années 1930, et après la première rupture que fut l'arrivée du parlant, que le cinéma commença à se penser comme histoire, ressentant par là même la nécessité de constituer sa propre archive.
Du film au cinéma
Le cinéma, c'est d'abord un faisceau de lumière qui perfore l'obscurité, le cliquetis d'une mécanique, des images animées sur un écran blanc. Comment rassembler, classer ces images fugaces, que la lumière du jour efface ? Le premier spectateur n'a pas besoin de savoir qu'en amont de l'image projetée il existe des centaines de mètres de pellicule inerte et fragile, roulés en bobines lourdes et malodorantes. Il y a donc d'emblée un hiatus entre le cinéma (les images qui bougent et qui enchantent) et le film, produit industriel peu maniable, dangereux par son caractère inflammable, qui se vend et se loue, et qui n'a de sens que quand se mobilise le dispositif : la machine et l'énergie qui la meut, l'écran et les spectateurs, parmi lesquels on identifie les premiers amateurs d'un septième art muet. D'emblée, il apparaît que les premiers collectionneurs du cinéma ne pourront pas se borner à archiver des films. Il leur faudra les montrer. Une cinémathèque n'a de sens que si elle est doublée d'une salle de projection.
Dès 1908, avec l'apparition en France du « film d'art » (L'Assassinat du duc de Guise, de C. Le Bargy et A. Calmettes), et la création au sein de l'empire Pathé d'un département de production qui se proclamait « Société cinématographique des artistes et gens de lettres », le cinéma tente de prendre pied sur le territoire de la culture. Au lendemain de la guerre, Louis Delluc, critique, théoricien et auteur de films, fait du cinéma une expression artistique de la modernité. Une première génération « cinéphile » se passionne pour l'art muet, impose la formule des « ciné-clubs », légitime Griffith, Chaplin et à l'occasion Feuillade, découvre les avant-gardes, l'expressionnisme allemand et le jeune cinéma révolutionnaire soviétique, se bat contre les lois du marché et contre les censures. À Paris, les clubs prolifèrent et débattent de formes et de rythmes, tandis que des passionnés ouvrent les premières salles spécialisées (le Vieux-Colombier en 1924, le studio des Ursulines en 1926) où les films sont placés dans la perspective d'un art qui fait des pas de géant.
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Écrit par
- Jean-Pierre JEANCOLAS : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma
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