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CINÉMA (Aspects généraux) Les cinémathèques

L'« affaire Langlois »

D'emblée, la personnalité peu commune d'Henri Langlois s'impose à la Cinémathèque française : volonté de puissance, habileté voire rouerie, du génie selon certains (il est « le dragon qui veille sur nos trésors » salué par Jean Cocteau), un charme incontestable, et un sens du désordre savamment entretenu. Langlois est un homme de réseaux et de secrets. Il imprime sur sa cinémathèque une marque de passion et d'irrationnel qui lui survivra et qui pèse encore sur l'institution à l'orée du xxie siècle. Sa tâche immédiate est de sauver un maximum de films. Il l'évoque en 1962 avec l'émotion et le vocabulaire du fondateur d'un nouveau culte : « Il se trouve que les quatre cinémathèques qui se sont fondées autour de 1935-1936 l'ont été sur la donnée selon laquelle les films muets, mis à part ceux de Chaplin, n'avaient plus aucune valeur. S'intéresser alors à la survie de l'art muet tenait de l'apostolat. Sur cette donnée et cet apostolat s'est établi le modus vivendi qui a permis la réussite de la Cinémathèque française. Nous étions une sorte d'oasis où le cinéma n'était plus une marchandise mais un art. Une sorte de haut lieu du cinéma tenu pour une valeur purement spirituelle, et au sein duquel communiait toute une profession. »

Avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, Langlois archive massivement des films et ce que l'on qualifie de « non-film » : une bibliothèque, des archives papier, des costumes, des éléments de décor déposés par des cinéastes, des artistes, des producteurs du monde entier, ou par leurs héritiers. C'est surtout après la guerre qu'il développe ce qui est pour lui aussi important que l'archivage : montrer ses trésors dans la salle mythique de la rue de Messine. Une évocation du jeune Chris Marker en 1949 en témoigne : « Écarts d'horaire, contrôleuses amnésiques, entassement dans des couloirs de chambre à gaz, billets escamotés, places distribuées deux fois, tout ceci orchestré avec brio par Henri Langlois, l'irremplaçable directeur de la Cinémathèque, met le spectateur dans un état proprement religieux, l'écartèle entre la conscience de son indignité et l'espoir extravagant de voir enfin le film. » Dans les salles de la rue d'Ulm puis du palais de Chaillot, la Cinémathèque va s'ériger en université libre du cinéma, formant des générations de cinéphiles et les cinéastes de la Nouvelle Vague.

La Cinémathèque coûte cher. C'est en 1943 que l'État, représenté par la Direction du cinéma mise en place par le gouvernement de Vichy, lui alloue une première subvention et met à sa disposition le local de la rue de Messine. Après la Libération, l'aide financière des pouvoirs publics est régulièrement augmentée, en particulier après la création du C.N.C. (Centre national de la cinématographie) en 1946. La contradiction fondamentale de la Cinémathèque française est dès lors évidente : elle est et veut demeurer une association privée, mais une part croissante de son fonctionnement est assurée par des deniers publics.

L'« affaire Langlois », au début de 1968, émane directement de cette ambiguïté. Langlois gérait la Cinémathèque en souverain absolu. Le ministère de la Culture d'André Malraux, qui avait d'abord soutenu l'association en lui offrant la salle de Chaillot et en augmentant régulièrement sa subvention, et le ministère des Finances, chargé d'en contrôler l'usage, souhaitaient plus de transparence dans la gestion. Décision est donc prise d'écarter Langlois en février 1968. Ses partisans jouent alors l'opinion contre le ministre de la Culture et mobilisent le réseau de relations patiemment tissé par la Cinémathèque. Bataille de communiqués et bousculades dans la rue alertent l'opinion. En avril,[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma

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