CINÉMA (Cinémas parallèles) Le cinéma d'avant-garde
Les avant-gardes historiques
Les avant-gardes dominent les années 1920 dans tous les domaines de la pensée : rien de plus normal, au sortir d’une guerre atroce, que de vouloir changer l’ancien monde et ses valeurs culturelles. Pour y voir plus clair, les historiens, et en particulier Georges Sadoul, ont subdivisé l’avant-garde cinématographique en trois périodes qui se chevauchent plus ou moins : l’« impressionnisme » français, qui va jusqu’en 1925 ; l’avant-garde formaliste (dada, cubisme, abstraction, surréalisme, cinéma pur, absolu), qui se prolonge jusqu’en 1930 ; et l’avant-garde sociale et documentaire, approximativement de 1927 à 1932. Le théoricien américain P. Adams Sitney (Une histoire du cinéma) distingue, lui, le cinéma subjectif (Un chien andalou, de Luis Buñuel et Salvador Dalí, 1928 ; L’Étoile de mer, de Man Ray, 1927), qui œuvre à l’intérieur de la représentation cinématographique pour la subvertir par l’onirisme et la discontinuité du montage, et le cinéma graphique (avec les travaux abstraits de Richter, Fischinger, mais aussi ceux, plus tardifs, de Len Lye, Robert Breer, Harry Smith) qui rejette la profondeur héritée de la photographie et du cinéma en prises de vues réelles.
Noureddine Ghali, qui souligne avec raison le rôle joué par les écrits des théoriciens et des cinéastes dans la constitution et le développement des avant-gardes, distingue deux périodes : la première va de 1919 à 1924, de la fin de la guerre à la mort de Ricciotto Canudo (1923) et celle de Louis Delluc (1924) ; la seconde s’étend de 1924 à 1930. Dans la première période, théoriciens et cinéastes se battent pour que le cinéma soit considéré comme un art. Avant-garde et pensée spécifique sur le cinéma vont de concert.
Dans les films dits « impressionnistes », les cinéastes insèrent des séquences abstraites dans des bandes narratives. Ainsi de celle du manège pris par la vitesse dans Cœur fidèle (Jean Epstein, 1923), de maints passages de montage ultrarapide de La Roue (Abel Gance, 1921). Des films relevant de cette sensibilité moderniseront cependant le cinéma français (La Glace à trois faces, Jean Epstein, 1927, L’Argent, Marcel L’Herbier, 1928). Des films s’inspirent, sous d’autres latitudes, de ce « courant » ailleurs qu’en Europe : Une page folle (Teinosuke Kinugasa, 1926, Japon) et Limite (Mário Peixoto, 1931, Brésil).
En voulant éliminer ce qui apparaît comme un lourd héritage des autres disciplines (littérature, théâtre), les théoriciens Canudo, Delluc, Vuillermoz, Epstein, Dulac militent pour un cinéma plus épuré. Ce que les cinéastes de la seconde avant-garde, définie comme celle des groupuscules et des petites chapelles, vont pousser jusqu’à ses extrêmes limites en voulant donner naissance à un cinéma absolu, proche en quelque sorte de la musique visuelle. Ballet mécanique, Entr’acte, Cinq minutes de cinéma pur (Henri Chomette, 1925), Emak Bakia (Man Ray, 1926), Anémic Cinéma (Marcel Duchamp, 1926), Arabesques (Germaine Dulac, 1929), tous ces films répondent à un tel programme. Ils constituent l’esquisse du premier vrai corpus de l’avant-garde cinématographique avec les bandes abstraites allemandes : Opus 1 (Walter Ruttmann, 1921), un jeu sur la fluidité des formes ; Rhythmus 21 (Hans Richter, 1921-1924) et Symphonie diagonale (Viking Eggeling, 1924), qui travaillent la rythmique des lignes et des formes géométriques ; Studies (Oskar Fischinger, 1929), œuvre développant la musicalité des images filmiques.
À cette époque, divers films se réclament des grands courants artistiques : ainsi, Ballet mécanique s’est voulu cubiste ; Entr’acte, dada ; Berliner Stilleben (László Moholy-Nagy, 1926) laissait poindre la présence du Bauhaus ; et Vormittagsspuk (Hans Richter, 1927) a été catalogué comme surréaliste. Ces films ont émis des hypothèses esthétiques[...]
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Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
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