CINÉMA (Cinémas parallèles) Le cinéma documentaire
De l'histoire à l'esthétique
La rhétorique du documentaire se fonde maintenant sur quatre éléments essentiels : l'image, le montage, le commentaire, le dialogue synchrone. Il se trouve qu'au cours des trois périodes que découpe la progression technique (le muet, le commentaire parlé, la parole synchrone avec l'image), ces éléments ont été successivement explorés, quelquefois caricaturés par les excès. L'approche esthétique du documentaire peut ainsi se confondre partiellement avec son approche historique.
Le temps du muet (1896-1930)
Filmer le réel à l'état brut est une pratique courante depuis Lumière, dont c'était l'unique ambition, et qui a envoyé ses opérateurs aux quatre coins du monde. Leur expérience (qu'on pense à la carrière d'un Félix Mesguich) a été précieuse, mais il y a loin du document au documentaire, de l'enregistrement avec dispositif minimal à l'œuvre élaborée. Des cinéastes comme Alfred Machin ont pu cependant relater des expéditions au long cours, source prolifique d'inspiration du documentaire « primitif ». Les actualités tournées sur le front pendant la Première Guerre mondiale ont constitué une autre école de tournage en situation réelle. Les films à base d'archives, comme ceux d'Esther Choub (La Russie de Nicolas II et Léon Tolstoï, URSS, 1928) ont largement profité de ce gisement inépuisable.
Deux auteurs prestigieux dominent à partir des années 1920, à l'opposé l'un de l'autre : Robert Flaherty (1884-1951) et Dziga Vertov (1895-1954). Avec une technique rudimentaire en regard de celle dont disposeront leurs successeurs, ils ont profondément marqué de leur esprit la tradition documentariste. Tous les deux récusent le scénario (en tant que schéma narratif préconçu) et le recours à l'interprétation des personnages par des comédiens. Voilà ce qui les réunit. Mais tandis que Vertov s'impose l'enregistrement pur et simple de la réalité (« la vie à l'improviste »), faisant confiance à la caméra plus qu'à lui-même, Flaherty ne craint pas de diriger discrètement – autrement dit de mettre en scène – les personnages en action, jugeant que la réalité se pénètre mieux quand on connaît par une longue approche ce qui en dévoile le sens. Au montage, les attitudes s'inversent. Vertov, cinéaste de conviction bolchevique profondément impliqué dans le débat qui agite l'avant-garde russe autour de la question du montage, construit son film en utilisant des fragments de réel à la manière d'un collage ; Flaherty, tout aussi interventionniste au niveau du montage, le manipule, quant à lui, avec une telle discrétion que le spectateur en perd la trace. À la limite chez Vertov (L'Homme à la caméra, 1929), il ne reste plus qu'une symphonie visuelle qui brouille la source ; chez Flaherty à l'apogée de son art (L'Homme d'Aran, 1932-1934), le film apparaît comme un poème sous-tendu par une architecture savante. Le documentaire s'est développé entre ces deux extrêmes.
À l'approche du parlant (auquel le muet, et plus encore l'esthétique du muet résisteront quelques années), les cinéastes possèdent une bonne maîtrise de l'image et du montage. Les documentaires qui balisent la fin de l'âge du muet annoncent parfois des carrières fécondes (La Pluie, 1929, ciné-poème de Joris Ivens ; Drifters, 1929, de John Grierson) ou demeurent comme des classiques de référence (Berlin, symphonie de lagrande ville, 1927, de l'Allemand Walther Ruttman, tourné dans l’esprit de l’école allemande de la Nouvelle Objectivité ;Chang, 1927, des Américains Merian Cooper et Ernest Schoedsack ; À propos de Nice, 1929, ciné-poème de Jean Vigo ; Turksib, 1929, du cinéaste soviétique Victor Tourine). Ce qui caractérise ces films[...]
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Écrit par
- Guy GAUTHIER : écrivain et critique de cinéma, ancien chargé de cours à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot, docteur de troisième cycle, université de Paris-VII-Denis-Diderot
- Daniel SAUVAGET : économiste, critique de cinéma
Classification
Médias
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