CINÉMA ET HISTOIRE
Le cinéma est un centenaire alerte troublé par des problèmes d'identité. L'histoire, discipline ou science qui n'a cessé d'élargir son champ depuis les temps classiques, est elle-même sommée de s'interroger sur la pertinence de la fonction d'élucidation que les sociétés humaines lui reconnaissaient depuis bientôt deux siècles.
Le couple cinéma/histoire, né quelques mois après l'invention de la machine à produire des images animées, en un temps où elle ne s'imaginait pas encore mère d'un « septième art », traverse, avec la fin du xxe siècle, une zone de turbulences : autour de 1990, des Cassandre familiers les uns du film, les autres de l'étude de sociétés vite étiquetées post-modernes, annonçaient parallèlement la mort du cinéma et la fin de l'histoire. Effet d'annonce médiatique certes, catastrophisme romantique ou intéressé, mais qui n'en renvoient pas moins à la conscience aiguë de mutations réelles. Des manifestations – la grande exposition Face à l'histoire au Centre Georges-Pompidou (hiver 1996-1997), les textes qui l'accompagnaient et le cycle Le cinéma face à l'histoire organisé dans ses marges, venant après l'exposition Die letzen Tage der Menscheit, Bilder des Ersten Weltkrieges organisée en 1994 par le Deutsches Historisches Museum à Berlin, ont reformulé la question des rapports entre les créateurs et leur temps (ceux du cinéma apparaissent plus concernés que les autres, étant donné l'ambiguïté de l'outil) dans une époque de grande incertitude.
Mémoire et récit
Le territoire de l'historien, à la fin de notre xxe siècle, s'est sérieusement brouillé. La demande d'histoire n'a sans doute jamais été aussi forte, sur le terrain de l'édition traditionnelle (le livre, les revues), et sur celui des nouveaux médias (la télévision est une grosse consommatrice de sujets et de débats, et nous intéresse d'autant plus qu'elle se nourrit autant d'images que de textes ou de théories). Parallèlement, l'idée s'est imposée que l'histoire n'est plus un long fleuve tranquille. Elle a pour une part perdu son sens. S’il est toujours vrai qu'elle « hante la société moderne comme un spectre » (Guy Debord), elle s'est aussi ouverte depuis les années 1960 au contact de connaissances neuves (la sociologie, la psychanalyse, les avancées du structuralisme), dont les trois volumes de Faire de l'histoire, de Jacques Le Goff et Pierre Nora, tentaient, en 1974, de mesurer les effets. Elle s'est éloignée des « ambitions totalisantes » qui armaient la recherche marxiste orthodoxe alors dominante, en commençant l'exploration des marges ou des profondeurs, en privilégiant ce que Pierre Chaunu avait appelé le « troisième niveau de la recherche », l'affectif, le mental, le psychique du groupe. Au même titre que Marx, Freud et Jung, puis Foucault, ont été appelés à cautionner des recherches. Les attitudes collectives, les formes de la sociabilité, la production et la consommation culturelles sont devenues des objets d'étude privilégiés. On a mis l'accent sur de nouvelles formes de l'histoire économique, celle des entreprises notamment. L'histoire a été sommée d'apporter sa contribution à la construction de la mémoire nationale, et sa caution à la médiatisation d’événements et de « lieux de mémoire », devenus souvent objets de débat (en 1989, la célébration française du bicentenaire de la Révolution a mobilisé, et souvent opposé, les grandes voix de la communauté historienne nationale). La promotion de l'histoire du temps présent a levé la barrière qui, depuis le positivisme, séparait le passé et le présent : l'historien « du temps présent » est mobilisé à titre d'« expert » autant que de garant dans les débats[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre JEANCOLAS : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma
Classification
Médias
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