CINÉMA ET HISTOIRE
Le cinéma saisit l'histoire
Les premiers spectateurs qui se sont interrogés sur la prodigieuse machine, des deux côtés de l'Atlantique, en ont immédiatement souligné sa relation particulière au temps. Le cinéma saisit la vie et arrête le temps. En mars 1898 – le cinéma n'est alors qu'un divertissement forain –, le Polonais de Paris Boleslaw Matuszewski publie un texte de huit pages intitulé Une nouvelle source de l'histoire, et sous-titré Création d'un dépôt de cinématographie historique. Il pressent que le jour est proche où la « curiosité des photographes cinématographiques » se portera vers des « tranches de vie publique et nationale » et déclare : « La photographie animée sera devenue alors un procédé agréable pour l'étude du passé ; ou plutôt, puisqu'elle en donnera la vision directe, elle supprimera, au moins sur certains points qui ont leur importance, la nécessité de l'investigation et de l'étude. » Et de s'enthousiasmer sur « le degré de certitude et d'évidence » du document filmé. Et d'envisager avec un luxe de détails fascinant la création d'un « Dépôt de cinématographie historique », confié soit à la Bibliothèque Nationale, soit aux Archives, soit encore au musée de Versailles.
Document et fiction
Presque immédiatement une coupure s'établit entre l'authentique document (les caméras des opérateurs Lumière filment les voyages présidentiels en province, le jubilé de la reine Victoria ou le couronnement de Nicolas II, fragmentés en « vues » de 17 mètres) et les « fausses » actualités de Méliès ou des « metteurs en scène » Pathé : des figurants prennent la pose dans des décors rudimentaires ou dans le bois de Vincennes et miment l'affaire Dreyfus, la guerre des Boers ou des épisodes de la révolution russe de 1905. L'actualité reconstituée est plus proche des toiles peintes que les bonimenteurs commentaient dans les foires (ainsi allaient-ils faire également avec les premières images du cinéma) que de ce qu'on appellera plus tard le documentaire. L'image ne prétend pas à la crédibilité, elle se borne à illustrer l'événement.
Une des dernières actualités reconstituées chez Pathé, qui évoque la mutinerie du cuirassé Potemkine au large d'Odessa en juillet 1905, trahit la faillite du genre : avant les tableaux mis en scène sur les plateaux de Vincennes, l'auteur, Lucien Nonguet, a placé un plan d'archives d'un vrai bateau de guerre entrant dans un vrai port, dans une lumière d'extérieur authentique. Peu importe que ce ne soit pas là le vrai Potemkine. Il fallait, pour répondre à une demande sociale en pleine évolution, crédibiliser le récit historique à l’aide d’un effet de réel. Bientôt, la victoire du réel est acquise. En 1908, Charles Pathé crée la presse filmée : d'abord Pathé-Faits divers, puis Pathé-Journal.
Le temps de la presse filmée
En 1909 – à l'apogée de la suprématie mondiale du cinéma français –, Pathé diffuse des éditions de son journal en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux États-Unis et dans l'Empire russe. En 1910, son concurrent Léon Gaumont lance Gaumont-Actualités. En 1912 sort le premier numéro d'Éclair-Journal, qui diffuse d'emblée six éditions (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Empire austro-hongrois, États-Unis, Russie). Dès ces années pionnières la presse filmée définit une structure : à l'instar de la presse traditionnelle, chaque bande, qui dure une quinzaine de minutes, est organisée par un rédacteur en chef qui choisit une dizaine de sujets. Ils « couvrent » la politique, la vie sociale, les faits divers, les mondanités, le sport, et illustrent même les « marronniers », le printemps à Paris ou la rentrée des classes. Tant que le cinéma est muet, chaque sujet est introduit par un carton-titre.[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre JEANCOLAS : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma
Classification
Médias
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