CINÉMA ET HISTOIRE
Le cinéma pèse sur l'histoire
Un instrument de propagande
La modernité du cinéma, son pouvoir de fascination ou de conviction, sa capacité à atteindre et à pénétrer les masses en ont fait un instrument dont Lénine (« De tous les arts, l'art cinématographique est pour nous le plus important », en 1919, lors de la nationalisation du cinéma russe) comme Mussolini (« La cinématographie est l'arme la plus forte », cette affirmation cent fois redite était affichée en immenses lettres blanches, confortée d'un paraphe du Duce, au-dessus de la cérémonie d'inauguration de Cinecittà, en 1937) ont reconnu l'efficacité.
Le cinéma a été d'abord un instrument de l'histoire compris comme œuvre de propagande. Les belligérants de la Première Guerre mondiale avaient déjà saisi l'intérêt des images animées et des documents de guerre sur le moral de l'arrière et plus encore sur l'opinion des neutres qu'il s'agissait de convaincre du bon droit d'un camp et de la vilenie de l'autre. Les travaux récents de Laurent Véray sur le cinéma dans la culture de guerre ont précisé les choses. Dès octobre 1914, les opérateurs allemands des Messterswoche sont présents sur les différents fronts et produisent des images assez efficaces pour inquiéter les diplomates français en poste dans les capitales neutres, en Suisse, en Espagne, aux États-Unis. En France, il faut attendre le printemps 1915 pour que l'état-major tolère la présence de caméras dans la zone du front. Encore les opérateurs sont-ils fortement encadrés par des officiers, qui comprennent mal l'intérêt de leur travail, et les images tournées sont-elles sévèrement contrôlées par la censure. Il faut des mois pour que le pouvoir admette la nécessité de contrer le discours ennemi en produisant des images dotées d'un coefficient de réalité suffisamment fort et qui soient d'authentiques images de guerre. Avalisées par l'autorité militaire, ces images circulent à partir de 1916, sous forme de journaux d'actualités ou de magazines.
Après la guerre, et jusqu'à leur disparition dans les années 1970, les actualités sont restées des instruments de propagande. Soumises au contrôle et à la censure dans les États démocratiques, produites directement par le pouvoir dans les États totalitaires, elles sont la voix généralement acceptée comme telle de ce pouvoir. Les actualités mussoliniennes (le Cinegiornale de l'Institut Luce) sont vérifiées chaque mercredi et samedi (le jour qui précède leur sortie en salle) par le Duce en personne dans la salle de projection installée dans la Villa Torlonia, où il réside. Star incontournable de ces journaux (on y voit le Duce aux champs, aux sports d'hiver, en famille, aux armées, dans ses fonctions officielles), Mussolini tenait à contrôler à la fois son image et celle du régime auquel il s'identifiait. Partout, même dans les pays démocratiques, les actualités sont univoques : elles montrent la guerre ou les conflits sociaux d'un point de vue. Ce point de vue détermine le choix des images et le texte toujours autoritaire qui les commente.
La presse filmée ordinaire est à l'occasion complétée et relayée par des magazines ou des documentaires qui développent le discours. Le Kino Pravda de Dziga Vertov, dans l'U.R.S.S. révolutionnaire des années 1922 à 1925, en est une expérience exemplaire : le cinéaste exploite les nouvelles ressources du montage pour construire, à partir des images et des rythmes graphiques, des moments d'enthousiasme émotionnel à propos de Lénine ou d'un barrage en construction.
Le cinéma met les ressources de l'art au service d'une cause. L'œuvre de propagande peut être aussi à l'occasion œuvre d'art : Le Cuirassé Potemkineou Octobre d'Eisenstein, et trente autres chefs-d'œuvre[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre JEANCOLAS : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma
Classification
Médias
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