CINÉMA ET OPÉRA
Il est peu de dire que le cinéma et l' opéra sont des arts jumeaux. Si on les compare facilement à deux frères ayant bu le même lait maternel, c'est que certains leur attribuent une vocation commune : on dit volontiers en effet que Richard Wagner, théorisant l'« œuvre d'art totale », annonçait la naissance du cinéma, synthèse impure, vulgarisation des arts nobles qui le précédaient. D'ailleurs, le cinéma n'est-il pas, autant que l'opéra, un art lyrique ? Le mélodrame, terme issu d'un style d'opéra, ne désigne-t-il pas un des genres les plus féconds et les plus riches de l'histoire du septième art ?
L'opéra porté au cinéma
Au temps du muet
Dès son origine, le cinéma a puisé dans le répertoire opératique : d'une part, par besoin de situations dramatiques éprouvées, et, d'autre part, par volonté de s'acheter une respectabilité culturelle. Rappelons que le cinéma, avec le kinétoscope de Thomas Edison, a vu le jour dans les foires. Ainsi Georges Méliès tourne un Faust aux enfers en 1903, Cecil B. DeMille une Carmen en 1915, avec Geraldine Farrar. Cette diva fut loin d'être la seule à « faire l'actrice ». Il suffit de citer quelques noms parmi la longue liste des cantatrices de l'époque qui sont passées devant la caméra : Lina Cavalieri, Gabriella Besanzoni, Mary Garden. C'est que, dès les débuts du cinéma, la voix de soprano s'est comme transférée vers le visage féminin à travers les gros plans, transis d'une vibration extatique, de divas puis de vamps et de stars. Il est même probable, comme le note le critique de cinéma Floreal Peleato, que « Griffith, King, Pabst ou Borzage ont scruté le visage des femmes à défaut d'entendre leur voix, et que le monologue en off, si présent dans le mélodrame, a peu à peu acquis le statut d'un chant débarrassé de ses atours ».
Ce n'est donc pas seulement à la transposition et à la citation que se résume, à l'époque du cinéma muet, l'influence de l'opéra sur le septième art. Dès l'heure d'Abel Gance, de Victor Sjöström, de Friedrich Wilhelm Murnau, le cinéma semble partager avec l'opéra, et cela dans sa forme même, une vocation et un style lyriques. Ainsi le musicologue Carlo Piccardi note, dans Cinémémoire : films retrouvés, films restaurés (1991) : « La récitation dans les films muets ne se déroulait pas au rythme de la déclaration des mots mais bien plutôt à celui de la musique, dans le sens des gestes qui se développaient en forme dilatée ; semblables aux formes hyperboliques typiques des chanteurs dans l'opéra. » Plus tard, certains succès de l'histoire du cinéma auront plus d'un point commun avec le grand opéra, cette forme façonnée au xixe siècle où se juxtaposent et s'intercalent ensembles, tableaux, chœurs et scènes de foule afin d'exalter l'épopée historique d'un peuple. Citons en vrac : Naissance d'une nation (David Wark Griffith, 1915), Autant en emporte le vent(Victor Fleming, 1939), Les Enfants du paradis (Marcel Carné, 1945), Les Sept Samouraïs (Akira Kurosawa, 1954), Les Dix Commandements (Cecil B. DeMille, 1956), Docteur Jivago (David Lean, 1965), Le Guépard (Luchino Visconti, 1963), etc.
L'avènement du cinéma sonore
Si l'invention du cinéma sonore pousse le septième art à intégrer toutes les formes de chant (opérette, chansonniers, revues, comédies musicales, chansons des rues), on continue de transposer à l'écran des œuvres du répertoire (Max Ophuls adapte La Fiancée vendue de Bedřich Smetana en 1932, Abel Gance reprend Louise de Gustave Charpentier en 1939). Cependant, le cinéma a surtout dès lors volontiers recours à la musique d'opéra pour renforcer la puissance dramatique d'une séquence. Et, cela, pour le meilleur comme pour le pire. En effet, l'utilisation,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Christophe FERRARI : enseignant d'esthétique du cinéma, critique de cinéma
Classification
Médias