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PARLANT CINÉMA

Le contrepoint audiovisuel

« Le cinéma muet, rappelait Belá Balázs, recélait une contradiction entre l'image et la parole écrite. Car on était obligé d'interrompre l'image, le jeu visuel, pour intercaler des sous-titres. » Le parlant, en permettant un flux visuel continu et en déchargeant l'image de certaines contraintes de narration devait permettre, en principe, au cinéma d'être encore plus visuel. Et il est vrai que certains tempéraments on ne peut plus visuels comme Fellini ou Hitchcock ont su pleinement s'épanouir avec le parlant... En même temps, le son a introduit comme un corps étranger, perturbateur, dans l'idée unie, absolue, que l'on se faisait du « cinéma pur ». Finalement, pour les tenants du cinéma comme art, c'était en augmentant ses possibilités de simulacre – donc en le poussant plus loin dans le sens même de ce pour quoi il avait été inventé – que l'on compromettait son développement. À ceux-là, le cinéma parlant apparaissait d'abord victime de la redondance du synchronisme, c'est-à-dire du principe de filmer des talkingheads, et la solution dite de l'« a-synchronisme » semblait être le moyen de libérer l'image des chaînes de la parole : ce qu'ils appelaient le contrepoint audiovisuel.

Pour Balázs, par exemple : « Le libre maniement contrapuntique du son et de l'image libérera le cinéma parlant des chaînes de son naturalisme d'origine, et, ce stade atteint, il retrouvera la finesse perdue du cinéma muet. » Tandis que pour le cinéaste expérimental allemand Walter Ruttman (cité dans Pour vous, Paris, 17 déc. 1929) : « Le film sonore est ou devrait être la création visuelle d'une continuité dramatique “secondée” en contrepoint par une continuité acoustique. » Qui aujourd'hui ne serait prêt à reprendre ces paroles, et à déplorer que ce programme n'ait pas encore été réalisé ? Mais quelques lignes plus loin, dans le même article, Ruttman donne des exemples du « contrepoint » auquel il pense, et nous nous apercevons que tous ces cas sont devenus monnaie courante : « Vous entendez une explosion et vous voyez le visage effrayé d'une femme, ou vous voyez un match de boxe et vous entendez la foule qui hurle, ou vous entendez un air sentimental sur un violon et vous voyez une main qui en caresse une autre, ou vous entendez le mot et vous voyez l'expression de l'interlocuteur. » Ainsi, ce « contrepoint audiovisuel » que l'on continue de réclamer à cor et à cri, le cinéma le plus courant le mettrait sans arrêt en œuvre ? Exactement. Souvent, en effet, c'est du son que le spectateur reçoit des informations, des impressions, des sensations, des visions même, dont il attribue la cause à l'image, ou, pour être exact, dont il situe le lieu dans l'image.

Le contrepoint audiovisuel n'est repéré par lui que lorsque la piste sonore fait entendre quelque chose qui est non seulement complémentaire et parallèle à l'image, mais aussi qui semble être contradictoire avec elle : on voit un certain décor et on entend des sons qui ne s'y rattachent nullement ; un objet tombe et le bruit entendu nous choque comme contredisant le son attendu (par exemple, dans les films de Robbe-Grillet « sonorisés » par Michel Fano). Le problème se pose alors du statut diégétique – c'est-à-dire de la situation dans l'histoire – de ce son en contrepoint : correspond-il à la pensée ou à la perception déformée d'un personnage (« son subjectif »), à l'expression d'une idée par la mise en scène (contraste entre un monde et un autre ou suggestion d'une métaphore, comme le son d'un match de rugby dans la bagarre du Million, de René Clair) ? Cherche-t-il à faire exister un monde différent du nôtre ? S'agit-il encore d'une sorte de dédoublement[...]

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Écrit par

  • : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III

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Médias

Du muet au parlant - crédits : Encyclopædia Universalis France

Du muet au parlant

L'Eau du Nil (1928) - crédits : D.R.

L'Eau du Nil (1928)

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