PARLANT CINÉMA
Une révolution « numérique » du son ?
À partir des années 1980, avec les développements de l'informatique, du téléphone mobile, d'Internet, etc., on a tendance à « techniciser » l'histoire du cinéma, c'est-à-dire à réduire son évolution à un simple effet des changements techniques. Pour le son, cet effet doit être relativisé, sans être pour autant ignoré.
En 2015, la majorité des films tournés et montrés dans le monde sont « numériques » d’un bout à l'autre de la chaîne, pour ce qui concerne le son comme l’image, et bien sûr leur projection ; on n'utilise plus que très rarement la pellicule et la bande magnétique. S’agissant du son, c'est dès 1990 environ, lors du tournage et des opérations de mélange, que le support numérique est utilisé, sans que le spectateur soit frappé par une différence avec ce qu'il connaissait auparavant. La grande révolution de l'esthétique du film avait eu lieu dès la fin des années 1970 : c'était celle du Dolby, avec un son distribué sur plusieurs pistes, une plus grande définition des graves et des aigus, et une « dynamique » (contrastes d'intensité) plus large.
Quand le public entend en 1990 dans une salle équipée en Dolby des silences profonds, par exemple dans La Double Vie de Véronique (1991), de Krzysztof Kieslowski, comment peut-il savoir si le son a été enregistré digitalement sur le tournage ou non ? On apprendra vite, d'ailleurs, qu'il n'existe pas un seul son numérique, mais plusieurs qualités liées à des différences de standards, tout comme pour la pellicule et la bande magnétique.
À la longue, cependant, le son numérique, par ses performances, a permis de franchir un pas supplémentaire – ce n'est un paradoxe qu'en apparence – vers un « silence des haut-parleurs » beaucoup plus absolu et pur, parfois quasi métaphysique. Des films aussi divers par leur genre, leur budget et leur ambition commerciale que Trois Couleurs. Bleu (1993), de Kieslowski, Mission : Impossible (1996), de Brian De Palma, LostHighway (1997), de David Lynch, Contact (1997), de Robert Zemeckis, Uzak (2002), de Nuri Bilge Ceylan, ont en commun de nous faire entendre dans maint passage un son qui existe à la limite du rien. Les films intimistes en ont autant bénéficié que les films à grand spectacle.
Des situations de parole multipliées
D'autres changements bien plus déterminants pour le cinéma sont ceux que le numérique a entraînés dans le quotidien et dans les situations évoquées par les scénarios. Il est évident, par exemple, que le téléphone mobile a eu un impact important sur les films se déroulant à l'époque moderne, a fortiori dans le futur. Au début des années 1990, le téléphone portable est encore, dans les films comme dans la réalité, le privilège des personnages puissants et aisés, puis il se démocratise rapidement. Il devient omniprésent dans les comédies sociales, les thrillers, les films romantiques, et évidemment le cinéma d'anticipation (Matrix). Il produit d'innombrables suspenses téléphoniques : un cas extrême est celui de Buried, de Rodrigo Cortés (2010), dans lequel le héros se réveille enterré vivant dans un cercueil, il ne sait où ni comment, et avec pour seul compagnon un téléphone portable. Le film ne consiste d'ailleurs qu'en des conversations téléphoniques échangées avec des interlocuteurs invisibles pour lui et pour nous.
Indirectement, cette nouvelle technologie donne un nouvel essor aux films fondés sur la parole, puisque les personnages peuvent échanger des répliques dans tous les décors possibles, sans se trouver dans le même lieu et en gardant leur pleine mobilité.
Le cinéaste iranien Abbas Kiarostami a réalisé des films entiers où des conversations se déroulent entre deux passagers assis à l'avant d'une voiture. Il utilise pour cela[...]
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Écrit par
- Michel CHION : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III
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